D’un projet de carnet de lecture

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Ici, j’accumule des notes de lectures, brèves et elliptiques. En aucun cas un travail critique. Juste l’amoncellement d’impressions, de citations ou d’idées consignées pour démêler la trame d’une pensée en élaboration.

Carnet de lecture pourtant puisqu’il s’agit de souligner les correspondances entre les lectures. Chaque article est donc publié sous une forme amendée au fil de l’évolution de mes lectures et surtout d’une écriture romanesque dont ce carnet numérique est un à côté.

Bien sûr, comme me le fait penser la lecture de L’été des noyésce projet est d’un égotisme sans fard. Prétention d’un portrait de l’artiste au travail. Pour y échapper pas d’autres recours que d’exposer les sources d’une inspiration espérée variée.

J’avance masquer et montre du doigt mon masque. Vieille antienne. Parler uniquement de ses lectures y répond exemplairement. La stratégie de communication sur internet est solitaire, pleine de méandres et de manipulations. À la lumière de ce que nous savons, dans sa suite d’anecdotes jamais personnels nous en offre une cartographie décentrée.

Une posture prétentieuse à préciser par la pratique. Aussi stupide que de croire que l’outil, la communication internet, détermine la teneur du propos. Je mets ici en œuvre une manière de circulation entre les articles. Ils échappent à la logique du journal puisque je les réactualise au fil des lectures, des liens qui se tissent entre elles.

La preuve par l’exemple. Je circule d’un livre à l’autre, Eureka Street me force à interroger Au départ d’Atocha  pour cette capacité à témoigner au cœur de tout roman. Avoir l’outrecuidance de prendre la parole conduit à se demander pour qui l’on se prend pour ainsi pérorer. Mais, face à la manière dont Robert McLiam Wilson affronte la description d’un attentat, remettre en cause cette incapacité à témoigner dont Lerner, peut-être en y cédant un peu, se moque admirablement. Une esthétique de l’inachèvement que la forme brève, concentrée, de La belle écriture paraît épuiser. Ce qui manque alors, peut-être, au héros de Lerner est cette conscience de l’histoire, voire cette dérangeante question de s’inventer un endroit où aller, un retour suscitant sa propre nostalgie.

Éclairer donc une posture que j’ai la prétention de croire propre. Parler autour des livres plus que véritablement sur eux. De ces deux romans, je tire alors une interrogation sur la vision d’une certaine modernité héritée de Primo Lévi. Dans Les naufragés et les rescapés, il trace une distinction importante : peut-on raconter un événement auquel on a survécu, c’est-à-dire, dans l’expérience concentrationnaire, pas vécu jusqu’au bout ?

En ces temps troublés, le roman tente de nous sortir de cette opposition. C’est ce genre de réflexions que je tire de mes lectures. Des pistes à creuser à la recherche de ce que j’espère, sans peur des formules creuses, devenir lentement, par sa reprise et ses repentirs d’une perpétuelle actualisation donc, une définition de ma propre esthétique romanesque.

Selon la formule un peu trop connue de Roland Barthes, la littérature c’est la rature. Entre repentir et regret, oser prétendre écrire est pour moi corriger sans cesse ces notes hasardeuse. Je les relis pour enlever un mots ou deux, corriger une orthographe jamais assurée.

Une façon aussi d’interroger le support. Internet se nourrit de nouveauté, dévore chaque nouvel article pour sustenter ses algorithmes. L’auteur d’un blog se laisse prendre à cette vision statisticienne, s’inquiète du nombre de vue et ne tarde pas à prendre conscience des manières détournées de les accroître.

Pour y échapper mes modifications au jour le jour ne sont pas signalées. Une manière de me maintenir dans le carnet de travail. Une sorte d’histoire spéculative pour ne pas figer comme prétend le faire Vie prolongée d’Arthur Rimbaud ou Au cœur de ce pays.

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