Un avis critique sur le roman irlandais de Robert McLiam Wilson, Eureka Street. Le portrait de Belfast et une interrogation sur la façon de réagir à un terrorisme. Une lecture politique et humoristique.
Une question de décor. L’attrait d’un livre tient, en partie, à la force de la description de sa topologie. Sans qu’il soit question du réalisme, du plat respect de la géographie réelle, l’auteur doit donner vie à l’endroit où il ancre son récit. Ici, une admirable réussite. Platitude que de penser que le lecteur désir d’être transporté dans un cadre spatio-temporel. Le décor exige de faire signe. Non se signaler : regarder comme j’ai bien travaillé mes fiches.
Donner de l’attrait, rendre la magie d’une interprétation, de cet imaginaire des lieux que nous nous constituons tous. Le roman rend une virée à Belfast attrayante.
Ne pas avoir l’outrecuidance de parler de ce que l’on ne connaît pas. Le roman comme mise à la question des limites de ce qu’on peut imaginer. Ce roman travaille l’ambiance, en creuse l’acclimatation. Il rend cette lassitude, l’acceptation tacite des détonations et des explosions comme une compréhension intime des attentats. Un rythme effroyable du quotidien.
Au cœur d’Eureka street, en son sein le plus intime, l’ultime attentat d’importance avant la déclaration de la trêve forme un chapitre qui donne toute sa densité trouée à ce roman.
Les pages qui suivent s’allègent de leur perte. Le texte est moins dense, la ville plus petite.
Une suite d’itinéraires individuels qui échouent là. Lamentablement. Sans grandeur mais avec la stupéfaction qui frappe les survivants. Dans Au départ d’Atocha, à sa manière singulière, Ben Lerner évoquait la difficulté à parler de cette obscénité sans retour. Ici l’auteur lui donne un autre visage. Il interroge la sincérité des manifestations collectives, leur repentir plein de ses bons sentiments qui n’ont, nulle part dans ce roman et dans cette ville, leur place. Notons d’ailleurs que cette façon de se moquer afin de rendre la profondeur des souffrances de ces personnages se trouvait déjà dans Ripley Bogle son premier roman.
La grandeur d’un roman tient à sa façon d’évoquer plusieurs thèmes. À travers le deuxième personnage principal de ce roman, Chucky (une façon de se dédouaner de la reconnaissance facile et fastidieuse entre la rédemption du protagoniste et celle censée être trouvée par son auteur à la fin de son livre), Robert McLiam Wilson illustre la vanité de la quête de la célébrité. Chucky se rend aux États-Unis, à New-York, où chaque lieu existe pour être filmé, où chaque citoyen survit dans la certitude de l’être.
Une façon de se poser la question encore contemporaine : si un pauvre type comme moi peut devenir célèbre, que vaut la célébrité ? Une bonne mise en scène de la querelle des icônes, l’inventif Chucky, protestant, s’acharne à rencontrer le pape. Il fait ensuite sans cesse retoucher la photo de cette rencontre anonyme. La vraie drôlerie du livre se situe dans ce type de scènes. Chucky et le pape finissent par partager une bouteille de whysky. Le peintre qui retouche sans cesse cette photo meurt de ce surplus de payement en alcool.
Un peu plus réservé sur la place de ce petit gavroche que Jake Jackson, le narrateur, finit peu ou prou par adopter comme il l’a été lui-même.
Plus réussie me semble cette inscription mystérieuse qui apparaît sur les murs. OTG est sans doute la trace que l’auteur veut laisser sur sa ville. À force de pouvoir servir à tout justifier, comme le roman, cette inscription ne veut rien dire. Elle apparaît, c’est tout.