L’histoire d’un homme par les objets usuels dont son quotidien est envahi. Harry Parker dans Anatomie d’un soldat parvient à retracer le destin d’un soldat ordinaire, de sa guerre sans gloire, de ses blessures sans romantisme ni héroïsme
Le lecteur se demande très vite à quel moment ce dispositif assez novateur va s’effondrer ou s’épuiser. Parker parvient à tenir jusqu’au bout cette histoire objective. Sans doute parce qu’il éclate la linéarité de son récit. Logique pour un récit dont le point aveugle est l’explosion d’une bombe.
La crainte de la gratuité de ce dispositif s’évanouit rapidement. Le point de vue singulier et changeant de ces quarante cinq objets est justifié par l’approche de l’émotion qu’il permet. Harry Parker ne nous livre ici en aucun cas un récit de guerre. Il est pratiquement impossible de savoir où se déroule l’essentiel de l’action de ce roman. Au fond, cela importe peu. Tous les théâtres des opérations sont, sinon identiques, conformes à cette incompréhension venue d’une ingérence étrangère. La littérature anglaise interroge sans délai son incursion douteuse dans les conflits actuels. À la lumière de ce que nous savons mettait déjà en question le profit personnel de cette action prétendument humanitaire.
Le récit à travers les objets permet un heureux décentrement. Malgré une certaine froideur dans le traitement des personnages, la pauvreté assez réaliste de l’incursion dans la psyché d’un soldat, le récit trouve tout son intérêt quand il prend en compte celui de la population autochtone. Parker rend sensible l’engagement contradictoire de la population locale. Deux anciens amis se retrouvent dans des camps opposés. Tous deux seront tués.
Là est toute la grandeur de ce roman. Il ne nous offre pas une dénonciation supplémentaire des horreurs de la guerre mais une véritable compréhension. Le soupçon autobiographique s’empare du lecteur. Il réduit très vite le personnage central à un décalque de l’auteur. Sans doute par la précision sans description de son amputation. Le chapitre où le narrateur est une scie oscillante est assez insoutenable. Ceux sur la lente prise de conscience du définitif de son handicap sont d’une émotion contenue terrifiante. Dans un tout autre contexte, en évitant toute facile insistance sur Hiroshima, dans Le grand incendie, déroule de la même manière la latence des blessures de guerre, des traumatismes dont il faut ausculter la latente intériorité.
Le point de vue des objets rend alors cette indifférente continuation de la vie. Un drapeau planté sur une tombe finalement oubliée, un verre de bière qui raconte l’absence de désir de vengeance du soldat amputé. Aucune résignation dans ce récit, juste la mise en lumière d’une absurdité sans la moindre issue.
Si les hommes qui m’ont fait ça entraient ici à l’instant, je leur offrirais une pinte.
Le lecteur est assez souvent égaré par cette lecture. Perdu parfois dans l’impression de ne pouvoir s’identifier à ce Tom Barnes le plus souvent identifié grâce à son matricule. Plaisir pourtant de tenter de deviner tout est raconté l’histoire, comment elle progressera vers une fin dont on ignore rien. Gêné aussi parfois par l’impression un peu théorique de ce placement en regard sur le camp adverse. Et pourtant… Le roman fonctionne admirablement et laisse une impression durable sur le lecteur. Notons d’ailleurs que Classé sans suite de Claudio Magris nous permet d’entendre cette réserve. La guerre ne doit susciter aucune fascination. Pas certain que l’on puisse encore en faire une épopée maintenant que les objets semblent notre appui le plus définitif.
Une manifestation de vie, l’objet devenat charnel et la troisieme dimension émanant de l’écriture.
N-L
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