Je vous aimais, terriblement Jeremy Gavron

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Je vous aimais, terriblement. Le titre de ce récit vient des derniers mots de la mère à l’adresse de ses enfants. Après la mort de son frère, Jeremy Gavron se lance dans une enquête très journalistique sur les raisons qui ont pu pousser sa mère à se suicider.

 Dès l’exposé des faits, ce livre de non-fiction agace. Enjeu clairement posé : un fils enquête sur le suicide de sa mère. Louable intention d’emblée trahie par l’écriture. La platitude du vocabulaire me dérange. Si au moins elle dénudait tout recours à la sentimentalité. Cette lecture me donne l’occasion d’approcher le style qui me déplaît : celui qui confond blancheur et neutralité avec l’utilisation inconsciente de clichés, de raccourcis de la pensée qui donnent à voir sans singulariser. Lecture entravée par ce genre de phrases :

C’est en partie à cause de l’âge que j’avais lorsqu’elle est morte – nous ne commençons pas à hiérarchiser les souvenirs autobiographiques avant l’âge de cinq ans environ. […]  Quand plus grand, j’ai appris l’existence des membres fantômes, qu’un bras ou une jambe amputés peuvent toujours produire des sensations, j’ai compris ce que cela devait faire.

Les phrases sonnent mal. Je fais crédit au traducteur car l’essentiel de ma gêne ne vient pas de là. Plutôt de cette prétention à affirmer des faits établis, de se présenter dans une écriture qui jamais doute d’elle-même ou supporte un soupçon ironique et réflexif. La douleur fantôme, Christa Wolf en faisait, voilà vingt ans déjà dans Trame d’enfance, l’appui de sa reconstitution autobiographique. Dommage de parler comme s’il n’y avait pas de précédent. Le texte manque d’échos tant il semble ne s’inscrire dans aucun réseau métaphorique.

Contaminé par mes lectures, je pense à l’évocation de sa mère que Javier Marias nous livre dans Dans le dos noir du temps. Une vraie utilisation de l’image, des documents. Pourtant, cette forme de, disons, naïveté, rend l’émotion intacte. Parfois, il est bon de lire un livre où le narrateur ne fait pas le malin, affronte sans forfanteries le point aveugle de son histoire.

La vie elle-même fonctionne dans des mécanismes prévisibles. La perte entraîne la réactualisation d’un travail de deuil qui, comme le veut la stupide expression, ne se fait jamais tout à fait. Le frère de l’auteur meurt, il veut en conserver des souvenirs : ceux latent de la mère se rappellent à lui. Pourquoi la vie met-elle tant d’acharnement à s’imiter elle-même ? Je pense ici au très beau Frère du précédent de J-B Pontalis pour ce type de notation. L’auteur songe avoir gagné sur son frère une compétition qui remonte à leur enfance. L’attaque cardiaque fraternelle sert d’annonce à celle qu’il va connaître. Ensuite, il lit un article sur la mort du suicide du fils de Sylvia Plath. Des symétries inusitées, heureusement, mais hélas un peu trop soulignées.

La partie la plus réussie reste la reconstitution des souvenirs, des faits dérisoires sans dramaturgies, des bribes, l’image laissée par sa mère lycéenne. L’intérêt qu’il prenne quand il les découvre par lui-même. Une belle, espérons-le feinte, naïveté pour qui fait profession de journaliste.

La mère, bien sûr, est fascinante. Personnalité magnétique, peut-être doucement manipulatrice. Dommage que le narrateur ne prenne pas assez en compte que tous ses témoins réécrivent son histoire à partir de la fin. La connaissance de son suicide invite sans doute à insister sur sa propension à ne pas accepter la moindre contrariété ou, hélas, une tendance à chercher le père, comme on dit sans honte dans les magasines, dans des relations avec des hommes plus âgés. Le proviseur de son lycée par exemple. D’où une insistance scabreuse sur les flirts de sa mère, les « passades » puisque une relation amoureuse adultérine et malheureuse est censé expliqué son « geste. » L’hérédité est même brièvement évoquée…

 Une façon d’aborder les motifs de sa mère, l’auteur repousse le moment de parler de son travail intellectuel, de son seul livre intitulé La femme captive, une étude sociologique sur les femmes au foyer dans l’Angleterre des années 50. Le sujet est rapidement traité. Refoulé même puisque l’auteur refuse d’y lire des révélations. Néanmoins, avec une certaine discrétion, Gavron parvient à évoquer la naissance des gender studies, la difficile réception des travaux de sa mère, sur la génération qui préparait le terrain pour les années soixante selon les mots de l’auteur. Les explications avancées alors, sous le prisme de différents témoignages apportent une certaine profondeur au personnage : captive de sa condition de femme, des difficultés universitaires, familiales, voulant se revendiquer comme individu, tentant de se réinventer dans un autre modèle…

Son sens de l’humour me parle. Sa capacité à être à la fois égoïste et généreuse, émotive et rationnelle ne me semble pas illogique. Je comprends son irrévérence, son outrance, ses mélodrames, son intégrité morale, son sens de la justice. Je la comprends dans les moments où elle est difficile.

Le lecteur finit par se laisser prendre à ces courts chapitres calibrés. Il finirait même par croire que le destin qui lui ait exposé va finir par se doter d’un sens. Le seul susceptible est l’émotion qui transpire, malgré mes réserves, de ces pages.


Ce livre a été reçu par l’intermédiaire du site Net Galley

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3 commentaires sur « Je vous aimais, terriblement Jeremy Gavron »

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