L’air d’un crime est un bref et grand roman. Sur une trame policière, Juan Benet donne à voir une humanité, perdue et attachante. Un roman plein d’ironie et avec une belle intrigue. Un auteur à découvrir absolument.
Un auteur que je découvre enfin comme on retrace une généalogie imaginaire, un jeu de filiation où se cache les écrivains. Juan Benet est en effet présenté par Javier Marias, avec une vraie ironie, comme son mentor. Depuis, comme le héros du Roman d’Oxford, je hantais les bouquineries à la recherche de cette rareté. Plaisir très snob de s’enthousiasmer pour un écrivain rare, reconnu mais un peu oublié. Le livre est hélas épuisé d’où la très mauvaise illustration et mon désir de poursuivre ma recherche de livre de cet auteur.
D’emblée, le lien semble si évident qu’il s’avère très difficile à pister. Peut-être tient-il à une précision maniaque dans le rendu des hésitations psychologiques des personnages. Souvent faibles et velléitaires. Mais, chez Benet, le paysage largement imaginaire sert aussi à affiner les multiples protagonistes de cette fausse enquête policière si goûtée par Marias.
De là, on entendait les coups de clairons du fort, trop éloignés pour continuer à être des ordres {…} dans une époque sans clairon uniquement conditionnée par le climat.
Parfois la parodie exprime la quintessence d’un genre dont elle se moque « en connaissance de cause. » Il est une question stupide qui revient si souvent : un écrivain doit-il écrire uniquement sur ce qu’il connaît ? Je ne sais. Libre à lui sans doute. Pourtant, un lien intime me paraît conseillé. Juan Benet fonde son roman sur une trame policière. Mais sans ce mépris si souvent affecté par les écrivains dits sérieux pour ce prétendu genre mineur. L’habilité dont il conduit cette présentation par une succession de points de vues de différents personnage témoigne d’une maîtrise enviable. Un certain attrait pour les vies ordinaires mais sans la despérance pointant parfois chez Chirbes.
Mais, la valeur du livre est ailleurs. L’air d’un crime s’ouvre certes sur un cadavre ayant l’air d’avoir été la victime d’un crime mais toute sa valeur tient à ses personnages d’une irréelle et belle mélancolie. Les comparaisons les plus flatteuses se succèdent à la lecture. Faulkner, Buzatti, Sciascia. Elles n’apportent, au fond, rien. Le capitaine et le docteurs, deux protagonistes impuissants, sont des personnages à travers lesquels Benet déploie toute la finesse de son analyse. Un seul exemple, cette très belle réflexion sur l’occupation temporelle de la solitude :
Et non seulement elle écrase tout, mais elle abrège. Dans la solitude il n’y a le temps pour rien. Elle est trop fidèle, la solitude, trop possessive et si perfide qu’elle ne te laisse pas jouir d’elle ; elle réserve ça à ceux qui lui rendent visite de temps en temps, pas à ceux qui vient avec elle en permanence. Si seulement je pouvais aimer la solitude.
L’aveu serait ridiculement grandiloquent s’il n’était mis dans la bouche d’un personnage. Ce médecin englué dans son cafard, dans les conséquences de la guerre civile et dans son alcoolisme. La description de Benet est toujours pleine d’empathie, me semble-t-il en connaissance de cause. Ainsi, quand il évoque un malfrat, Barcelo, dans ce seuil de la légalité avec laquelle aime à flirter la littérature, L’air d’un crime m’a évoqué Les lois de la frontière de Javier Cercas. Le démon du commentaire en moins. Juan Benet n’oublie jamais de préserver une zone d’obscurité dans sa prose. Jamais, elle n’est un projet et son sens s’épuise donc avec une belle difficulté.
Assez dur en effet de décrire la légèreté ironique de tous ces portraits. Ni condescendance ni commisération pour les habitants de cette Región fictive, délabrée et désertique. À la fois irréelle et d’une précision de cauchemar. Une belle description du gouvernement espagnol en exil, les longues traversés en vélo de Paris pour annoncer uniquement des modifications dans des attributions, bien sûr, fictives. Une douloureuse absurdité rendue sans insistance.
Une imparable précision dans les senteurs ; une tortueuse exactitude dans les pensées. Tout le roman concourt à rendre le flottement et l’irréalité où nous passons nos existences :
comme s’il était arrivé ici sans avoir remarqué une minuscule erreur de trajectoire qu’il ne parvenait pas à situer. Il n’eut pas de réveil parce que ce ne fut pas un rêve.
Parler d’une élégance classique, intemporelle, provinciale approche approximativement le charme tenace de ce roman. Peut-être grâce à une histoire de vengeance et de viol, une tragédie rendue à sa nudité sans apprêt.Et, toujours avec grâce un beau rebondissement final. Pour un cadavre révélé un autre doit être planqué.
Oh, il n’est plus édité ? C’est quand même dommage…
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Malheureusement, il ne se trouve que d’occasion. Je crois que le reste de son œuvre est encore disponible. Dans la liste de mes prochains achats en tout cas.
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