Vérité de Peter Temple est un polar caniculaire. Avec une vraie sécheresse donc, son récit trace le portrait sans fard d’une Australie peu attrayante. Une enquête embrouillée, les souvenirs et les erreurs du commissaire Stephen Villani font de ce roman un miroir complexe de notre peu aimable humanité.
La prose de Temple est d’emblée déconcertante. L’ouverture de Vérité ne nous offre aucun « sommaire rétrospectif » où le romancier consciencieux présente un à un les personnages et leurs liens entre eux. Plongée directe dans le flux de l’enquête. Le lecteur est perdu. Une manière alors de rappeler que le minimalisme de cette prose admirable ne s’apparente à aucun moment à de la sous-écriture mais opère par de concises ellipses narratives.
À la troisième personne nous voilà dans la tête de Stephen Villani. Un flic un peu paumé au cœur des pressions et des directives politiciennes ; un homme franchement déchiré entre l’éducation martiale paternelle et le fantôme de père qu’il a été pour sa fugueuse de fille.
Je ne m’aventurerais pas dans le résumé des intrigues parallèles du livre qui permettent à Temple une radioscopie discrètement sociologique de cette Australie qui m’a toujours semblé à l’avant-pointe du merdier néo-libéral. Le roman national me paraît si souvent s’écrire dans les polars. Dans ce lieu de violence, Vérité met en œuvre cette virilité dont l’Australie, selon Shirley Hazzard, aurait fait une de ses composantes essentielles. La mort de mafieux et celle d’une prostituée dans un hôtel de luxe permettent à Vérité une exploration des différentes sphères de pouvoir pareillement gangrenées. Peter Temple échappe au jugement morale par des constatations toujours rattrapés par sa stricte économie d’une intrigue certes un peu trop tordue à mon goût.
Qu’importe. La valeur du polar tient à ses intermèdes. Stephen Villani est un héros peu sympathique avec une véridique absence d’exagération qui nous contraint, hélas, à nous y reconnaître. Peter Temple insiste sur le mécanisme politique qu’est devenu une enquête policière. Villani s’y laisse porter. Passivité d’une absence de choix. Sa seule vérité est celle du cheval fourbu, de ce pari hasardeux sur sa victoire, qui donne son titre au roman.
Ce réalisme dans le traitement de l’enquête fait alors penser à celui de Maj Sjöwall et Per Wahlöö, les indispensables fondateurs du roman policier suédois. La même manière de mettre à distance des flics qu’il paraît impossible de considérer comme des héros. Peter Temple, à hauteur de flic, contient à tout instant l’émotion et, toujours dans cette magnifique économie narrative, crée alors un personnage fort. Sans doute par sa façon d’entremêler le passé (surtout avec le beau portrait du père, Bob Villani) et le présent d’une enquête qui y ramène sans cesse (surtout par cette autopsie d’un couple déjà mort). Certes, ce sont des ingrédients attendus d’un roman policier. Mais, par son classicisme ou tout au moins par le respect sans ostentation de ses codes, Vérité se révèle un grand roman noir. Peut-être aussi par la distinction de se planquer derrière son intrigue retorse. Une façon de se déporter et surtout d’échapper à la nostalgie, le pire écueil du polar, est d’interroger la langue qui nous construit. Un des personnages souligne la proximité de régresser et regretter. L’un conduisant à l’autre. Peter Temple à l’élégance de ne pas s’y abandonner.
Australe pesanteur quand guru absent élimine le suspense…
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