Défaite des maîtres et des possesseurs Vincent Message

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Fable apocalyptique, visionnaire et politiquement pessimiste, Défaite des maîtres et des possesseurs est une sombre allégorie sur la domination destructrice d’un espèce à la démoniaque supériorité. Une fable emplie de réflexion sur une époque sans satiété.

Par des rapprochements souvent hasardeux, toujours rétrospectifs, certains thèmes paraissent circuler d’un livre à l’autre et illustrer un moment littéraire. La question de notre rapport aux espèces animales peut alors paraître une question hantant une partie de la littérature française contemporaine. Nous renvoyons à ce propos au très bon dossier consacré par Diacritk à ce sujet. Dans Règne animal illustrait, avec sa verve pleine de fascination fécale, l’inhumaine immondice des conséquences de nos vies carnivores. Sa plume acerbe évitait pourtant  la leçon de morale à laquelle, par une prose peut-être un rien trop argumentative, Vincent Message n’échappe pas tout à fait.

Sans doute aussi parce que, au fond, il est pratiquement impossible de n’être pas d’accord avec sa dénonciation. Avouons cependant que l’argument de son récit lève très vite une réticence d’un lecteur, comme moi, rétif à la science-fiction. Sa projection dans l’avenir reste une allégorie, une manière d’ouvrir les possibles à l’image de ce que fait Burnside dans Scintillation. Projection dans un avenir proche, hautement probable et, malgré l’invasion de la terre par ceux qui se nomment eux-mêmes, par ironique antiphrase, « démons » assez proches pour être dangereusement familiers. Une conscience écologique dont les écrivains se doivent de mettre en récit. Mais, à mon sens, surtout comme un point de départ, une occasion pour parler d’autre chose, pour portraiturer nos pauvres ressorts psychologiques.

Certes, la description d’une humanité réduite aux exactes conditions actuellement réservées à l’espèce animale est parfaitement glaçantes. Certes, les débats sur le peu de pitié qu’inspire une humanité elle-même peu consciente de sa domination destructrice paraissent une nécessaire piqûre de rappel. Heureusement, Défaite des maîtres et des possesseurs ne se contentent pas de ce consensus et Message ne se drape d’aucune encombrante mauvaise conscience.

Je me suis dit, on peut creuser le trou de sa défaite avec un rire vainqueur.

Le plus intéressant, selon moi, dans ce court roman ne sont pas tant les débats et la prise de conscience du narrateur sur la tristesse entropique de ce monde voulu toujours en expansion, mais bien la façon dont il caractérise ces envahisseurs.

Une des belles réussite de Défaite des maîtres et des possesseurs est de se refuser à la description de cette espèce invasive et des changements apportés par son conflit, au fond salvateur, avec l’humanité. Excellente idée, un peu rhétorique peut-être, de montrer que cette réduction à l’esclavage fut une façon de sauver une humanité courant à sa perte. Nous le savons tous : la croissance exponentielle vendue par nos économistes a la fatalité d’une catastrophe. Tous, nous nous aveuglons sur cette fin certaine. Exactement comme nous préférons ne pas voir comment sont produits les viandes dévorées avec un appétit apocalyptique.

Vincent Message est assez malin pour faire de ces envahisseurs autre chose qu’une crainte pathétique de l’immigration et du métissage. Ces grands voyageurs en escale momentanée sur la terre ont développé, sans doute au contact de l’océan ou de l’éther stellaire, une démoniaque capacité d’hybridation et de mimétisme.

Dans une forme de sagesse qui nous fait, surtout actuellement, défaut, ils n’éprouvent aucun besoin de se doter eux-mêmes d’une identité. Alors, par une de ses moqueries d’abord hautaine puis dans laquelle on se laisse prendre, ils se baptisent démons. Du nom d’une croyance démonétisée à partir de l’instant où les hommes ont perdu leur impérialiste conscience d’un devoir de domination sur la Nature. Avec une radicale absence d’espoir, avec peut-être même cette déréliction censée être dans la mystique la suprême présence divine, l’impuissante résistance humaine s’organise sous le signe de l’Ange. Un joli symbole.

C’est quand on sort de l’utile, c’est quand on entre dans le gratuit et dans l’apparemment absurde  que la culture commence.

Vincent Message truffe son texte d’aphorismes de ce types. Notamment une belle réflexion sur cet état d’angoisse crée par un chômage pourtant conséquence logique de la folle rationalité économique. Si la trame narrative de ce roman m’a moins convaincu, le lien fort entre le narrateur et Isis, son animal humain de compagnie m’a moins convaincue, c’est toujours par ce genre de réflexion que l’intérêt du lecteur est titillé. Pour clôre sur un seul exemple, la seule transmission possible est celle d’une angoisse temporelle, d’une crainte de la mort :

Mais moi qui pour ma part suis ballotté sans cesse dans le mouvement du temps, guettant les premiers signes de ce qui vient à l’horizon, je pensais qu’elle avait le droit à cette belle inquiétude, je voulais quelqu’un qui puisse aussi partager cela, qui essaye de prévoir, se trompe, se remémore, regrette.

L’occasion de souligner que si la fable fonctionne c’est aussi par la transparence de sa langue d’un belle simplicité. La seule à même de rendre la sagesse inquiète et déchirée du narrateur.


Livre reçu en partenariat avec le site Lecteurs.com.

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2 commentaires sur « Défaite des maîtres et des possesseurs Vincent Message »

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