Le monde extérieur est une histoire d’enfermement. Jorge Franco éclate le récit d’un kidnapping promis au ratage en auscultant les faits y ayant conduits. La perversion du conte de fée où est confinée la fille du kidnappé répond au fou fantasme fétichiste du ravisseur. Un roman d’une densité énigmatique.
Le monde extérieur, comment pourrait-il en être autrement, déroute. Le lecteur se croit d’abord égaré dans la répétition d’un conte de fée, dans la redite de ce « réalisme magique » auquel la littérature sud américaine ne se réduit pas. Mais la langue, fluide et souple, de Franco insiste sur la dangereuse caricature de l’emploi de ses rôles ataviques. Princesse, page et institutrice sont animés d’une sourde tristesse. Le dédoublement de l’enfermement s’invite déjà.
Grâce à cette mélancolie, rendue doucettement funeste et longtemps crue meurtrière, Jorge Franco dépeint les enchantements délétères d’un paradis enfantin. Isolda s’invente son propre mythe de la frontière et de la wilderness. Une forêt borde son domaine, elle devient le lieu propice de tous les amirages. Capture d’une illusion dont Le monde extérieur excelle à nous rendre la construction mentale.
Après le conte de fée, l’autre code narratif dont se joue Jorge Franco est celui du roman noir. Plus précisément, le récit usuel, toujours plaisant, d’un plan mirifique exécuté par une bande de saugrenus bras cassé. Fatalité moderne. Mono, enfant pauvre, est fasciné par le château reconstruit, à Medellin, à l’image de celui de Larochefoucauld. La seule trace de morale est plus lapidaire encore que celle exemplaire de ce moraliste. Entre deux braquages et trois ivresses, pour ne rien dire de ses amours impuissantes, il enlève Don Diego, le père d’Isolda. La meilleure partie du livre tiendra, à mon sens, dans les discussions, sans extériorité bien sûr, entre victime et bourreau. Tous deux partagent une fascination endeuillée pour cette jeune fille à la croissance interdite.
Mais nous ne sommes pas dans un polar. Aucun renversement dialectique. Bien sûr Don Diego est coupable mais Mono semble lui aussi enchaîné à son destin. Le ravisseur est égaré dans une relation homosexuelle vénale. La victime a conçu un palais pour y enfermer sa fille et sa femme. Lentement, avec cette évidence maligne dont se pare l’ironie du sort, ce château est devenu un mausolée. Franco tient d’ailleurs parfaitement le suspens sur les causes de la mort d’Isolda.
Le roman d’Amérique du sud me paraît souvent enfermé dans une explosion de la narration qui, aujourd’hui, peut paraître artificielle. Il n’en n’est rien dans Le monde extérieur. Aucune linéarité, passage sans heurt d’un personnage à l’autre pour interroger ce rapport au temps. Peut-être le seul sujet du roman. La jeunesse de Don Diego à Berlin après la chute du nazisme est une évocation sans insistance. Elle est empreinte de cette magnifique mélancolie qui évite au monde extérieur de virer dans le cynisme. Ce court roman est une très belle découverte.
Ça me semble une lecture bouleversante…
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