La maison des épreuves est un court récit spéculatif. Jason Hrivnak y explore la folie de nos choix, un imaginaire enfantin polymorphe, déréglé et isolé mais surtout interroge le salut qu’est censé pouvoir nous apporter la narration.
Le nom du traducteur de ce très court roman (77 pages dans sa version numérique), Claro, affiché dès la couverture, résonne comme une mise en garde avant de se lancer dans cette lecture voulue éprouvante. Le traducteur historique de Pynchon et de Glass nous promet une lecture labyrinthique. La maison des épreuves, sur ce point ne déçoit pas.
Le récit, au fond, se réduit à un dispositif. Son énoncé dans la préface reste la meilleure parti, à mon sens, de ce roman. Un homme, à la neurasthénie aboulique, apprend le suicide de son unique amie d’enfance, dans leur école et, apprendrons-nous plus tard, exactement avec les gestes de ce pacte amoureux douteux éludé par le narrateur. Assez peu fiable, le lecteur le découvre sans parvenir à en être véritablement surpris.
Dans cette fausse préface, Hrivnak crée une atmosphère digne de cette Amérique paranoïde. Plongée au cœur des marges esseulées d’une normalisation révoltante. Portrait discret d’une société qui n’est pas sans évoquer celle minutieusement décrite par Ben Marcus. Mais, m’a-t-il très vite semblé, L’alphabet des flammes parvenait à renouveler sa proposition narrative.
C’était une explication étrangement nostalgique, m’attribuant une sensibilité que j’avais perdue des années, voire des décennies plus tôt.
Hrivnak est très exactement conscient des enjeux narratifs du long cauchemar qu’il mettra en suite sous forme de courts récits, faussement décousus comme le sont nos récurrences oniriques, toujours ponctués de questions comme le sont nos éphémères réveils. Le narrateur, probablement ce garçon aux yeux améthystes de ces contes emplis de retrouvailles d’amours perdus, confie écrire ceci dans une longue hallucination, une céphalée curieusement privée de toutes sensations extérieures. Il est alors empli de la certitude que les épreuves, rites initiatiques et autres ordalies dont déborde sa prose malsaine et obsédante, aurait été une façon de sauver son amie. Trop tard bien sûr.
Les dénouements heureux sont laids et dangereux parce qu’ils dépouillent le monde de ses miracles.
Il faut néanmoins avouer un certain agacement du lecteur. Certes, celui-ci mime admirablement l’imminence du sens caressé dans nos rêves. Tous ces courts récits, dans un monde oppressant et toujours en changement, portant presque uniquement sur des basculements, des instants où hommes et femmes quittent leur vie pour devenir, à la lettre, une autre personne, sont proches. Sans doute par une forme de contagion. L’exemple le moins compliqué serait celui-ci : un forestier retrouve une femme qui se prétend victime d’une secte. Il s’installe dans la vie qu’elle vient de quitter et tente de donner de la réalité à son fantasme.
À chaque épreuve que nous concevions, nous braquions une torche sur le vide au cœur de notre communauté et, ce faisant, nous nous écartions davantage du troupeau.
Le narrateur fait de même. Lorsqu’ils étaient enfants avec Fiona, son amie suicidée et schizophrène, ils inventaient un monde d’épreuves cruelles sans autres récompenses que d’être renouvelées en atténuant toujours leur espoir de salut. Le narrateur insufflerait donc de la réalité à ses fantasmagories à la lecture donc un peu répétitives. Plongé dans cette lecture, sa gratuité m’a un peu gêné. À tenter maladroitement d’en rendre compte, sa tenue théorique me frappe. Retenons de ce livre déroutant, la belle inquiétante étrangeté qu’il transmet, l’épreuve du peu de réalité de nos représentations du monde. Nous percevons tous confusément échos et ressemblances, de celles, plus explicites, dont Cabré, dans Voyage d’hiver, se joue dans une construction soigneuse et que La maison des épreuves efface. La lecture demeure une épreuve. Au fond, en interroger le bénéfice est sans doute sa seule forme de salut.