Le grand incendie s’offre dans l’évidence le classicisme d’un grand roman. Dans une langue transparente, précise et sensuelle, Shirley Hazzard, raconte l’embrasement intérieur d’une passion au lendemain de la seconde guerre. Simplicité et profondeur pour envisager nos possibilité de survivre.
Sans vouloir aucunement gâché la découverte du dénouement, la dernière phrase de ce roman donne une idée exacte de sa tonalité ténue, de la fragilité des psychologies si finement observées dans leurs failles : «Beaucoup étaient morts. Mais pas lui, pas elle ; pas encore.»
Le grand incendie – dont la présence est une menace à la réalité métaphorique – crée d’emblée un climat : celui des derniers soubresauts de l’empire anglais. Avec sans doute un plus grand sérieux, c’est cette illusion du vainqueur promenant sa morgue inutile qu’interroge Burgess à sa façon très singulière. Une élégance diplomatique. Une grande partie de l’action, son nœud le plus dramatique, se situe à Kure, à proximité d’Hiroshima.L’univers colonial, dans lequel a baigné l’auteure, est rendue avec cette acrimonie indispensable dans son dépaysement sans représentation. Hazzard parvient au miracle de ne pas s’enfermer dans la stérilité de ce milieu. Sans doute parce que le contexte met au premier plan les préoccupations matérielles d’ordinaires soigneusement occultées dans ce monde feutré jusqu’à l’irréalité.
Aldred Leith, héros blessé d’un héroïsme dont il ne parvient pas à se revendiquer (Shirley Hazzard le décrit assez magnifiquement comme une expérience, à la lettre, fantomatique), se révèle un observateur non pas facilement désenchanté mais égaré dans la reconnaissance pacifique d’un monde dans lequel à nouveau il peut s’aventurer. Ce roman, à la narration discrètement éclatée, s’attache à sa personnalité sympathique par l’extériorité critique dont il ne cesse de faire preuve à son égard. Un personnage qui, selon lui, ne se moque pas suffisamment de lui-même, redoute sans cesse de devenir impressionnant.
L’intériorité n’était pas ce qui manquait : il y en avait pour tous les goûts, une kyrielle de mondes intérieurs. La carence gisait ailleurs. Nier le dehors et l’imprévu ôtait tout son prix à la maîtrise de soi.
Le grand incendie demeure un roman contemporain malgré cette exactitude sans reconstitution de l’époque trouble qu’il évoque. Notons au passage ce procédé peu habituel : une romancière se plonge dans l’intériorité d’un personnage masculin. Selon une de mes tenaces hantises, l’aspect contemporain de ce roman tient à cette hypothèse mélancolique : « C’est l’inachevé qui nous tient. » Le roman explore le jour d’après, la prémonition de l’événement (ici un amour interdit et possiblement victorieux), la possibilité de se reconstruire. Shirley Hazzard dans sa narration pleine d’ellipses et de sensations en explore non une impossibilité théorique que ses difficultés. Avec un procédé narratif nettement moins radical, une grande partie de ce roman a le même objet que l’admirable Anatomie d’un soldat. Cette très longue incapacité à se reconstruire dont il me semble que Kerr (au nom de la dureté d’un point de vue d’époque) face une trop rapide bonne mesure.
Chacun devait maintenant becqueter le sol à la recherche d’un compromis qu’il appellerait destin.
Au-delà des amours réprouvées de Leith et de la très jeune, comme apportée par les fées, Helen Wincott, Le grand incendie dresse un portrait de l’Australie dont l’auteure est originaire. Signalons au passage le talent de Hazzard, celui de rendre un histoire banale, grandiloquente, a son élégance classique. Le dépouillement d’un mélodrame auquel il est dur de rester insensible. La beauté dénudée du film Carol de Todd Haines fut une image présente tout au long de ma lecture. L’amour a son ridicule dont il est trop aisé de se moquer. Les chastes amants s’échange des recueils de John Clare, la jeune fille a l’impression de rencontrer un homme, un vrai, celui n’éprouvant aucune honte à montrer les failles fondatrices de sa virilités.
Le roman illustre, souvent, sa prétention à définir, dans la détestation, un caractère national. Seule la précision de l’observation me paraît permettre la mise en œuvre de cette idée. Un propos d’ailleurs que la littérature française délaisse. Pas certain d’avoir à s’en dépiter. Notamment à travers le personnage de Peter Exley, une victime de guerre dans son indécision (« Il préservait son équilibre intérieur, comme un homme manœuvre avec soin un corps endolori »), Shirley Hazzard décrit cette virilité australienne comme condition d’une affirmation de soi. Une faille qui semble encore agiter l’Australie contemporaine si j’en crois la brûlante, décidément, Vérité de Peter Temple. Bêtise normative, acculturation à laquelle répond l’effarante étroitesse d’esprit des coloniaux. L’itinéraire de ce personnage dote d’une belle profondeur celui de Leith, son ami avec qui il a partagé son expérience de la guerre. Pour répondre à une autre de mes tenaces obsessions, ce portrait d’hommes en souffrance n’aurait pas été complet sans le portrait de l’écrivain tel qu’en lui-même. Le père de Leith est un écrivain, sa description, dans son indifférence bougonne et attentif, en fait un miroir possible à tous les personnages dotés ainsi d’une réalité durable. Citons également le frère d’Helen, Benedict aux charmes des enfants condamnés et dont la mortelle maladie n’est prétexte à aucun pathos.
Je vous invite donc à découvrir ce roman limpide.
Je ne connais pas l’auteur mais ce que tu dis de son roman m’intrigue… Bonne journée à toi !
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