7 est un roman spéculatif un peu spécieux. À travers une réflexion, sans doute un peu trop maligne, d’une lecture captivante, sur la répétition de nos vies (ce que nous en retenons et ce qui peut en revenir), Tristan Garcia livre un dispositif à la fois redoutable et qui ne me paraît pas entièrement fonctionner.
7 se présente comme une suite de nouvelles, plutôt de récits où la mémoire, la triangulation amoureuse, la répétition, le mélange entre le rêve et la fiction tiennent lieu de très forte cohérence interne. Très vite, le lecteur pressent que l’unité du livre n’aura rien de superficielle. Sans doute hélas par une question de langue. Tous les narrateurs de ces sept histoires, s’exprimant souvent à la première personne, parlent la même langue, leur réflexion s’appuie sur un vocabulaire commun, parfois étrangement recherché. Le dimanche des mères avait, lui, l’intelligence de créer un personnage qui prenait doucement conscience de son vocabulaire et se construisait une identité crue singulière. Bien sûr, par un artifice narratif dont nous serons contraint de révéler la teneur, Tristan Garcia justifie son choix de ne pas singulariser la langue de ses protagonistes. Dommageable à mon sens pour un écrivain. Surtout quand il prétend explorer des univers placés dans un temps spéculatif, là encore sans grande singularité.
Voici ma principale réserve sur ce roman qui essaie (dans tous les sens du terme) d’explorer la singularité de l’être. Il se révèle plutôt dommageable que les différentes histoires n’empruntent pas une forme différente comme y parvient admirablement Contrenarrations.
Tristan Garcia est universitaire et philosophe. Son univers romanesque en est profondément affecté. Pas toujours pour le meilleur. Avant la révélation de la pirouette finale, l’auteur a le bon goût d’en interroger la réalité pour le cerveau malade qui l’énonce, ma lecture a été entravée par une impression légèrement datée. Sur le papier, pour ainsi dire, cette impression est difficile à situer. Tristan Garcia s’en amuse. Avec une sorte d’ironie plutôt gênante dans un livre d’un redoutable esprit de sérieux. Biais argumentatif faiblard que de dater ce décalage temporel à partir d’autres noms. 7 m’a paru assez proche de l’exploration parfois très théorique de Jean-Baptise Del Amo (dont une citation est mise en exergue et qui est cité en remerciement) et celle expérimentale jusqu’à l’incompréhensible de Medhi Belhaj Kacem. Un peu chic, parisien de l’est, intellectuels dans une marge très ostensible.Un détail sans le moindre doute. Plus gênant, une certaine tendance à s’accrocher à un réalisme documenté, des schémas atomiques et du name dropping plutôt lassant dans les deux premières histoires. Travail d’écrivain consciencieux. Le plus gênant (et peut-être le plus daté) est le masque derrière lequel se planque Garcia.
La lecture est prenante, désolé, d’en dévoiler ici l’un des ressorts principale. In fine, Garcia prétend que toutes ses histoires seraient le reflet à peine déformée des multiples existences vécues par le narrateur immortel de la dernière et plus longue.
Il fallait écrire un roman, on devenait mortel, c’était la fin, après il n’y avait rien. Non, tout de même, ce n’était pas si important que ça, c’était de la littérature : des mots les uns après les autres.
Sans jamais savoir s’il s’en moque ou s’il en fait une sorte de croyance mélancolique, un ultime refuge pour nos temps dont 7 insiste sur la perte des croyances, le roman baigne dans une sorte de spiritualité new-age, volontairement confuse, renseignée et donc jamais risible.
Pourtant, ce roman exerce une indéniable fascination. Il propose une perte des repères temporels admirablement rendu et dérange ainsi notre conception sans doute toujours un peu étroite de la réalité romanesque.
Il me semblait soudain, comme il semble souvent aux personnes âgées, ne plus vivre dans le présent, mais dans mes souvenirs au-dedans et dans une œuvre d’anticipation au dehors : l’essentiel de ce que faisait les adolescents me paraissait appartenir à une sorte de fiction spéculative.
Tous les récits de ce roman sont donc des fictions spéculatives, un jeu sans doute adolescent et qui entraîne néanmoins le lecteur. Certes, on imagine un peu trop le romancier, devant son écran, se demander et si… on pouvait inventer une drogue qui permettait de remonter dans son propre passé, serait-on encombré par les différentes variantes de soi, existe-t-il un point de non retour ? Et si la beauté appelait nécessairement une compensation ? Et si, pour une ancienne militante, un camarade était mort à la place d’un autre, si la révolution avait eu lieu conserverait-elle ses profondes désillusions ? Et si un compositeur de musique réalisait que tout avait déjà été enregistré et qu’il était un plagiaire inconscient ? Et si chaque communauté pouvait vivre dans sa bulle, l’extérieur ne se réduirait pas une bulle dont la porte de sortie serait seulement mieux masqué Exercice un peu scolaire. Il manque parfois un peu de chair. Outre le souci de la singularisation sémantique, les personnages ne sont jamais tout à fait crédibles, attachants. Volontairement certes mais l’univers n’est jamais assez creusé, trop lapidaire et parfois, pour moi, presque méprisant. Tous les personnages sont réduits à être semblables
à un homme qui entend le rêve d’un autre, qu’il n’a pas fait lui-même, et qui ne comprend pas comment l’autre a pu s’abandonner même les yeux fermés à de semblables féeries, qui du coup le jalouse presque de sa crédulité enfantine.
À ce titre l’épisode intitulé « La révolution permanente » est particulièrement intéressant. Si la réalité est un rêve, qui en est le rêveur ? 7 aborde ainsi beaucoup de questions passionnantes. Tout d’abord celle de la répétition et du souvenir que nous pouvons avoir de ce qui alors nous constitue. Garcia construit la façon dont chacun de ses personnages comme une manière de payer sa dette à la singularité. Souvent, le lecteur se sent dépossédé par la profondeur de la réflexion mise en œuvre. Il se laisse porter par ses récits ayant en commun une mise en scène de la possibilité de survivre à la perte de nos illusions. Difficile bien sûr de connaître la position de l’auteur qui rejette toute nostalgie tout en explorant une certaine crainte pour le développement de croyance communautaire excluante. « Les hémisphères » met d’ailleurs assez bien à la question ce repli et l’absence de valeur commune que nous pouvons y opposer. Le masque schizophrénique d’un pauvre type qui croit avoir vécu plusieurs vies, parasiter par la répétition et une mémoire trop étroite pour accueillir autant de souvenir, permet à Garcia de ne jamais écrire un roman à thèse. Malgré ses aspects d’un didactisme volontairement confus, 7 s’ouvre sur une remarquable absence de morale : vivre serait savoir et oublier, perdurer dans l’illusion d’être unique, nous maintenir, peut-être, dans cette désillusion qui serait une forme ultime de croyance.