Les empreintes du diable John Burnside

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Avec sa finesse habituelle, Burnside se révèle un paysagiste inquiétant, avec sa pénétrante élégance, il se révèle un portraitiste hors pair de nos solitudes. Les empreintes du diable est un cours récit où les tensions et les drames sont effleurées comme autant de terrifiantes et incompréhensibles traces du mal. À découvrir de toute urgence.

Pour ceux, bienvenus, qui découvrent ce carnet de lecture, je précise ma passion pour John Burnside. La vie d’un lecteur est pleine de rencontres par procuration. Soudain, il lui devient urgent de tout lire d’un auteur dont il espère toute nouvelle parution.  Par une sorte de pudeur, devinée assez proche de celle dont témoigne Burnside, je me garde soigneusement de consulter la liste des autres œuvres qu’il me reste à découvrir. Tel le héros des Empreintes du mal, je renâcle au moindre choix décisif. Je laisse mes déambulations livresques m’apporter de nouveaux romans de cet indispensable romancier. Ce dispensable, lui, préambule pour vous renvoyer à mes précédentes lectures de Burnside : d’abord, au tout début de ce carnet de lecture, le très envoûtant, L’été des noyés. Puis, un peu plus tard, la fable plus spirituelle qu’écologique, la parabole passablement spéculative mais toujours sourdement inquiétante qu’est Scintillation. Au risque d’être redondant, je vous invite vraiment à découvrir ces livres.

Un ultime détour avant d’en venir aux Empreintes du diable. Avant d’ouvrir ce carnet de lecture, dans une autre vie ou peu s’en faut, j’avais lu Un mensonge sur mon père de Burnside. Aucune raison d’étaler ma connaissance relative de cette œuvre sinon pour souligner que Burnside déploie dans cette confession à forte teneur autobiographique une méthode qu’il paraît reprendre dans Les empreintes du diable. Afin de donner une image de la vie faussement rocambolesque, véritablement pathétique, Burnside invente un nouveau mensonge sur son père. Ce qui au fond l’intéresse ce sont les variations dans les récits, les autres explications qu’ils peuvent recevoir.

Nous n’avons ici nullement la truculence d’un Richard Russo quand il réinvente la vie de son père dans Quatre saisons à Mohawk. L’occasion d’ailleurs de vous annoncer que nous reviendrons bientôt à Mohawk. Pour Burnside, la gravité est de mise. Le fond diabolique de ce roman qui joue de notre perplexité est l’incapacité pour le héros à se relever de la mort de son père. Peut-être même son refus de passer à autre chose comme le veut l’expression populaire idiote. Dès lors, Mickaël se réfugie dans la solitude, puis, par déréliction (le terme ne m’apparaît pas superflu, nous reviendrons sur ce sentiment d’abandon divin) se trouve contraint d’inventer sans cesse des variations de l’histoire paternelle, de la sienne et des drames auxquels il assiste en spectateur impavide.

S’il fallait absolument adresser un reproche à ce roman magnifique, à l’écriture d’une concision et d’une précision à la lettre sur-réelle comme toutes les atmosphères de Burnside, se serait à cette détestable passivité de ce héros apathique. Difficile à situer d’abord. Avant que la folie ne s’immisce, prenne le dessus, au point de devenir élective, Mick ne fait rien. Regarde passer les instants. Certes, toujours mieux que d’essayer de les remplir comme disait Cioran. Il assiste au naufrage de son couple. Pauvre type un peu détestable, triste sire bouffi d’apitoiement. Il pourrait très vite nous lasser. Mais l’écriture de Burnside est là. Elle emporte la lecture notamment dans sa capacité à inventer un lieu. Fugace notation sur le paysage de Coldhaven (on a tant envie de l’entendre comme, à une lettre près, un paradis froid) avant même d’en décrire l’enfermement et la répétition des maltraitances et des réactions excessives qu’elle suscite.

Par une marchandisation du monde éditoriale, la facilité de lecture reste un objectif qu’il conviendrait de ne pas perdre de vue. À ce titre, le héros devrait d’emblée susciter notre empathie, nous être sympathique afin que nous devions nous y identifier. Un code dont se joue avec toute sa finesse Burnside. On se laisse bien sûr prendre, peu à peu on croit comprendre les motivations de Mickaël. Certes, il est moins admirable que l’héroïne de L’été des noyés mais il partage sa solitude, son refus de se plier aux explications communes du monde. Au risque de sombrer dans le solipsisme. Un terme très présent dans ce roman. Cette manière de croire que son point de vue est le seul et unique viable devient alors la base même de sa mise en récit. Avec toute l’inquiétante étrangeté qu’il sait susciter, cette identification entre le lecteur et le personnage devient une empreinte diabolique. Il l’accompagne dans ses marches et contre-marches comme un compagnon, son semblable, son frère selon la formule de Baudelaire détournée ici par Burnside.

Le véritable sujet des Empreintes du diable devient alors plutôt nos propres mises en récit. Nous en oublions alors totalement les faiblesses du personnage. La façon dont il nous décrit son mariage semble d’abord d’une complaisance honteuse. Mais Burnside souligne avec raison à quel point nos histoires d’amour, leur infléchissement dans un itinéraire de vie comme disent les sociologues, dépend de notre capacité à faire varier ce récit, à lui inventer des péripéties pour, sans bien sûr se l’avouer, en repousser le prévisible dénouement. Burnside sait qu’il s’agit d’un mensonge admirable. Ou plutôt d’une tentative désespéré d’imposer un sens à ce qui en semble parfaitement privé. Il examine d’abord un village, le diable serait passé par Coldhaven, aurait laissé l’empreinte de ses pas dans la neige. Tout le récit de ce roman tient à cette survenue du mal, aux traces qu’il va laisser et donc aux variations dans son récit qui parviendront presque non pas à expliquer le drame mais cette peur en nous de nous voir submerger par la violence qui nous conduit à la réprimer.

Un grand roman me semble très souvent mettre en scène un choix moral. Platitude que de le dire. Difficulté de le mettre en scène sans sombrer dans le déjà-vu. Burnside y parvient grâce à ce que j’appelle la solution de l’image. Au tout début de ce carnet de lecture, je définissais ainsi ce recours à une mise en récit qui passe par la description d’une toile afin de donner de la perspective à son récit. Une autre interprétation que celle factuelle dont Burnside se méfie avec justesse. Dans son désœuvrement, contraint de vivre sur un héritage paternel, Mick croit n’opérer aucun choix décisif. Il revient donc sur les reniements commis dans le passé et les décrit alors comme une folie élective. Burnside a alors recours au mythe du reniement de Saint-Pierre et surtout à sa mise en image du fait que la trahison devienne la seule façon de démontrer la divinité.

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Le plus plaisant me semble-t-il chez Burnside est sa manière de détourner l’imaginaire religieux sans véritablement s’y soumettre. Il propose, peut-être davantage dans les pays anglo-saxons, un imaginaire collectif de référence. Mais pour Burnside c’est une variation parmi tant d’autre. Au fond, il n’impose aucune justification divine ou diabolique à des comportements humains dont il nous montre la folie. Sa mise en récit parvient d’ailleurs à nous les rendre excusable.

Avec l’admirable finesse dont il fait toujours preuve, Burnside suggère que ce c’est souvent chez les persécutés que se devinent les empreintes diaboliques. Mais, nous sommes ici dans un récit au narrateur aussi peu fiables que ceux changeants et menteurs de Scintillation. Burnside montre à quel point ils se prennent, à moins que ce soit le héros qui les réduise à cet irréel statut, pour des personnages. Des caricatures qui empruntent leur cruauté à des personnages de fiction. Mais, héros d’une fiction à la mise en abyme jamais transparente, Mick n’agit jamais autrement. Il va tuer l’un de ses persécuteurs et prendre l’excuse d’avoir suivi les conseils d’une vieille femme. Un conseil admirable dont on peut faire ce que l’on veut. Une sorte de reniement de soi

Transforme ta peur en quelque chose d’autre. En juste colère. En compassion. En combativité. On peut même la transformer en amour, à condition d’y travailler assez.

Toute la subtilité de Burnside est là : son personnage feint de n’éprouver aucune culpabilité, il ne dépasse jamais véritablement ce trauma. Il ne cesse donc de lui inventer des précédents et des variations.

La mort du père, nous l’avons dit, ne passe pas. La reconnaissance autobiographique serait une piste peut-être trop simple. Avec la cruauté de la précision, Burnside décrit comment son protagoniste cherche chez ses parents une explication à son comportement.déjà-vu Les parents se retirent, Mick mettra longtemps à en comprendre la défaite. Burnside aime ce genre de personnage. La mère de L’été des noyés est similaire à ce portrait de l’artiste au travail.

Tout bien pesé, c’étaient deux êtres silencieux, distraits, un peu vaincus, qui ne souhaitaient rien d’autre que mener à bien leur travaux.

Le portrait est admirable : le fils reproduit l’isolement persécuté de son photographe de père. Sans oser aller plus loin il suggère même que, comme lui, il a aimé la sœur de celui qu’il a trahi. Photographe de guerre, le père est un voleur d’âme. Lui seul à réussi à s’enfuir. Il épouse la sœur de son ancien co-détenu. Pour donner un peu de profondeur à sa réflexion sur la paternité, la transmission soit la mise la plus primitive qui soit de mise en récit, Burnside met en scène une imparfaite reproduction de ce comportement. Un temps très bref, Mick est amoureux de la sœur de celui qu’il a tué, Moira. Il se demandera d’ailleurs s’il n’est pas le père de la fille que Moira a épargnée dans sa tuerie de ses enfants. Eux aussi portaient l’empreinte du diable. Ce résumé dévoile sans doute un peu trop l’intrigue de ce roman. Il se révèle pourtant nécessaire pour montrer comment Burnside traite un thème : par jeu d’échos, de présences implicites qui reste sans explications. Mick, incertain sur ses motivations kidnaperra sa prétendue fille, n’aura rien à lui transmettre.

L’essentiel, une fois encore n’est pas là mais plutôt dans le doute que sait instaurer Burnside par l’alchimie d’une écriture qui jamais ne sombre dans le gratuit exercice de style. Les personnages de cet auteur comprennent toujours mieux autrui qu’eux-mêmes. Comment n’être pas d’accord ? Sans parvenir à la découvrir en eux-mêmes, ils découvrent, souvent chez leur parent, un inatteignable nostalgie.

Elle avait envie de revenir à quelque chose. Je n’ai jamais bien compris à quoi et je ne suis pas sûr que cette chose existait seulement.

Les errances du héros parviennent à ce point exact. Un sentiment que je goûte de retrouver inchangé dans l’œuvre de Burnside dont je guette les nouvelles variations.

 

3 commentaires sur « Les empreintes du diable John Burnside »

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