New-York sous la menace de la neige, vu par un homme défait. Dans une langue étincelante, avec une rythmique concision, voilà ce que nous raconte C’en est fini de moi. Alfred Hayes s’y révèle un écrivain puissant pour dévoiler le tragique vaudeville de nos existences. Peintre précis des sentiments et du passage du temps, la publication de son œuvre sonne comme l’évidence avec laquelle il ne cesse de traiter.
Commençons par un rappel du destin éditorial de C’en est fini de moi indispensable pour entendre la musique de Hayes. Initialement publié en 1968, le roman connaît en 2017 sa première traduction en française. Le plaisir de la redécouverte n’est pas, à mon sens, étranger au charme qui se dégage sereinement de C’en est fini de moi. Son grand attrait est de ne paraître avoir absolument pas vieilli. Ou alors puisque c’est le thème de ce court et dense livre de contempler ce temps écoulé avec une gravité dont Hayes parvient à nous rendre à la fois la belle et nécessaire gravité mais aussi, au fil d’une construction moins lâche qu’il n’y paraît, son ridicule égotisme.
Daté C’en est fini de moi peut parfois paraître l’être dans son écriture. N’y voyez pas là, pour une fois aucune réticence de ma part. Le paysage du New-York retrouvé par Asher évidement a profondément mué depuis 1968. L’impression de ne pas s’y retrouver, de ne pas reconnaître celui qu’on y était sans doute absolument pas. Peut-être d’ailleurs faudrait-il lire ce livre sans se douter de son ancienneté. Serait-on alors frappé par son minimalisme qui découpe des tranches de réalité au point de paraître détachée ? Dans C’en est fini de moi l’auteur prend soin de ne s’encombrer d’aucun marqueur d’époque. Premier indice plutôt subtile de l’aveuglement d’Asher.
Daté, le roman le semble comme un atout. La première comparaison qui vienne immanquablement à l’esprit est celle avec la prose au couperet de Raymond Carver. De brefs dialogues rendus avec une vraie pertinence, accumulation dont on ne sait pas bien où elles mènent mais qui sont pourtant la substance de nos vies. Comparaison des plus flatteuses : l’intelligence de Hayes est palpable à chaque page dans sa compatissante hauteur de vue et surtout dans sa façon de se moquer d’elle-même.
Cette écriture, en tant qu’équivoque marqueur d’une époque, offre une description délicieuse de New-York dans des paragraphes où se figent des instantanées. Existence surprise sur le vif par celui qui se croit à moitié mort. Leur répétition, hélas, laisse parfois entrevoir une sorte de tic d’écriture. Succession de phrase nominales à la brièveté heurtée, idéalement descriptive comme une appréhension parcellaire avec une chute en fin de paragraphe par un verbe de mouvement où la fuite de la maison Asher se poursuit. Désolé pour le jeu de mots minable mais le neveu du protagoniste essaie tous ceux qu’il peut trouver. « L’Asher est triste hélas…» m’a beaucoup amusé. L’occasion de souligner l’ironie sous-jacente à la conception du monde que nous offre Hayes.
M’abîmer vraiment. Être élimé. Éliminé de tous les matchs de tennis à la con qui constituent notre existence.
Des matchs mortels.
Oui.
Voilà pour donner une image du style de Hayes. Je laisse au lecteur le soin de découvrir la teneur de cette histoire de match de tennis (ou de l’emploi du mot con d’ailleurs) au cœur de l’intrigue parfaitement banal d’un trio amoureux qui se recompose ou plus sûrement se décompose. Asher apprendra lentement à quitter sa « trop grande solennité à l’égard des créatures à la langue fourchue que nous étions.»
C’en est fini de moi s’amuse de son aspect de vaudeville. Nos peines de cœur, la chute de nos amours comme leur renaissance demeure d’une absurdité contondante. En grand écrivain, Hayes parvient à les regarder du dehors pour en extraire sordide et magnifique. Vu l’époque de rédaction, Hayes en fait d’abord une réflexion plutôt fine sur la sexualité. Asher lit les poèmes de son neveu. Leur pornographie le désarçonne par l’ennui qu’ils révèlent et ce justement par son expérience instructive de regarder, du dehors, sa femme se livrer à la pantomime sexuelle.
Un instant on pourrait croire que C’en est fini de moi va nous livrer le traditionnel affrontement entre les générations. Mais l’écriture de Hayes se refuse à tout psychologisme. Elle parvient alors à saisir la vérité (toujours moqueuse comme si nous pouvions être équipé d’un hautain détecteur du vrai) de l’action de ses personnages. On s’attache à cette « météo du passé » qu’Ascher s’acharne à vouloir retrouver lui qui ne cesse de dire adieu aux choses. Avec en bouche «le goût rance de lui-même » il perçoit admirablement d’une ville qui existe, selon lui, toujours en périphérie : « toujours on aperçoit à la limite quelque chose que l’on ne voit pas encore. »
L’épigraphe de Proust placé en exergue nous l’indique, comme les dernières lignes du roman, avec une clarté suffisante, le véritable sujet de C’en est fini de moi est le hiatus d’une connexion si fragile avec le temps.
Quelque chose ne s’enchaînait pas. Une expérience d’un ordre différent. Qu’est-ce que c’était ? Et que m’attendais-je à trouver, en connexion avec quoi et évoluant à partir d’où ? Mon époque. Ma vie. Mon passé. J’avais cinquante et un ans.
Asher aime à se voir comme un homme fini, en rupture. Il déambule en quête de ce « moment ambigu» il achète l’empathie mercenaire et contemporaine de son neveu. Toute la force de C’en est fini de moi est la revanche de ce neveu qui vient contredire cette conception mélancolique (la nostalgie est rapidement dépassé de par son impossible). Le long monologue d’Asher se révèle une forme d’aveuglement à laquelle l’auteur prête toute sa tendresse. Rien d’autre néanmoins qu’un mensonge sur soi-même. On pense alors à cette tristesse dont se prémunit, d’une façon similaire, l’héroïne de Douleur. Nos chagrins ennuient autrui. Le personnage du neveu poète, comme de sa petite amie avec laquelle Asher reforme un triangle amoureux, demeure obscure. Ils se vengent, avec une très belle idée, de la condescendance égoïste dont fait preuve Asher dans sa, au fond, ridicule (mais magnifique) quête du passé.
Je tiens à remercier chaleureusement les éditions Gallimard pour l’envoi de ce magnifique roman. N’hésitez surtout pas à m’en envoyer d’autres.
Pas mal de désenchantement dans ce livre. New York des sixties intéressante. Je comprends cependant assez mal l’engouement qui semble se dessiner. J’ai aussi acheté Une jolie fille comme ça. On verra.
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J’ai trouvé un charme discret à la prose de Hayes. Une belle écriture. Quant à savoir pourquoi on le redécouvre maintenant… ?
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