Samedi Ian McEwan

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Vingt-quatre heures dans la vie d’un homme : une parfaite plongée dans une psyché complexe et dans son réalisme en collision avec d’ordinaires basculements. Dans une prose très informée, Ian McEwan nous détaille le destin banal d’Henry Perowne. Samedi se révèle alors une fragile et rare apologie du bonheur.

Une génération d’écrivains, me semble-t-il, des hommes sexagénaires, se distingue en ce moment par leur capacité à écrire de « petits romans » (format et ambition) très renseignés et toujours très variés. Je pense par exemple, outre McEwan à Martin Suter. Des lectures plaisantes quoique distanciée, en prise avec un contemporain où les personnages ne sont ni profs de fac ni apprentis écrivains. Aisés malgré tout. Pas désagréable de quitter le truisme adolescent qui paraît parfois omniprésent. Il s’agirait alors non d’envisager les relations nécessairement conflictuelles avec ses parents mais de s’interroger, comme dans Samedi, sur la paternité jamais mieux éprouvé, qui sait, au moment où ses enfants deviennent adultes.

Des écrivains renseignés donc afin que la situation socio-professionnel de leur protagonistes transpire dans son appréhension du monde. Dans Samedi, cette plongée dans le cerveau rationnel d’un neurochirurgien véhicule une certaine froideur. Pour un caricature facile : le pauvre, il a rayé sa berline allemande dans un accrochage et comprend, what a pity, que ses luttes saturnales aux squatch sont derrière lui. On pourrait s’en foutre éperdument. Mais là encore, le long stream of conscienness, à la troisième personne, par sa précision à disséquer l’instant finit par entraîner la sympathie du lecteur. Par la fidélité à un point de vue cohérent et crédible. Celui légèrement pris à défaut dans Les monstres de Templeton. Pourtant, parfois, Samedi paraît rattrapé par une impression d’un plat réalisme. Parfait portrait du quotidiePierre Ducrozetn londonien aux premières années de ce siècle. Il m’arrive souvent de souhaiter que le romanesque fasse un écart vers davantage de fantaisie, d’inventions pour rendre cette magie si cruellement absente de nos existences routinières.

Un écrivain renseigné enfin quand sa façon de décrire un métier permet surtout une interrogation sur nos conceptions de l’homme. Outre les morceaux de bravoure de la description d’interventions chirurgicales, la gourmandise avec laquelle McEwan emploie ses termes techniques, Samedi offre surtout une plongée littérale dans le cerveau humain. Les continents inconnus de la science, sans doute pour ses folles hypothèses, et le roman entretiennent un lien au moins depuis l’eugénisme de Zola. Les avancées scientifiques conduisent à envisager la réalité nouvelle de l’homme. Même sous la plume adroite de Pierre Ducrozet, le trans-humanisme me paraît encore (?) une faribole. Dans la tête d’Andrew invitait à une réflexion plus inquiétante sur la transformation de nos perception de la réalité induite par une perception scientifique du contenu de notre cerveau. Samedi avec un vrai talent didactique effleure ce sujet mais sait ne pas sombrer dans le débat philosophique chic et creux.

Avec une indéniable habilité, la réflexion sur le cerveau interroge la capacité d’une transmission héréditaire. Henry se demande si son éducation a eut plus d’influence que la génétique. Par un retour de bâton ce sont ses enfants qui font varier sa conception de l’univers parfois trop éminemment pragmatique. McEwan en fait la profession de foi de ce roman qui parvient miraculeusement à rendre la simplicité d’un bonheur tout à fait ordinaire. Par sa fille donc, Henry se demande ce qu’il reste de nos vies par la lecture d’une biographie de Darwin. Un sentiment souvent éprouvé. Ne vous est-il jamais arrivé de ressentir un vague cafard à voir que les auteurs majeurs d’hier sont réduit à la postérité d’un nom de rue, dans un lotissement ? Les débats avec sa fille, une poétesse enceinte, de retour pour montrer les épreuves de son premier recueil à son acariâtre et alcoolique grand-père, lui-même poète reconnu, sont assez passionnant et apporte une respiration bienvenu.

J’en parlais à propos du premier roman de Lauren Groff : peut-être devrait-on juger un roman à la réussite du projet posé par le romancier. Ainsi énoncé, McEwan réalise pleinement ses ambitions :

la réalité plus que la magie, constitue le véritable défi. {…}. le surnaturel était l’unique recours d’une imagination déficiente, un dévoiement des devoirs de l’écrivain, une fuite puérile devant les difficultés et les merveilles du monde réel, devant la difficile reconstitution du plausible.

La beauté de cette citation tient à son ambivalence. Mais, la reconstitution du plausible me semble une noble ambition. Samedi d’ailleurs y touche par des réflexions artistiques qui viennent perturber les réflexions de Perowne. Pour prendre un seul exemple, cette réflexion de James, le frère William, sur l’oubli de certains noms propres où nous devinons ce que n’est pas la réalité qui nous manque. McEwan atteint à cette simplicité dans la précision. Tous les événements ont ainsi une forte matérialité, cette évidence banale qu’aurait notre réalité la plus immédiate. Notamment dans ce défi romanesque : Samedi joue sur le bonheur de la répétition par une valorisation assez rare de la monogamie. Sans frime, le romancier rend la place exacte du désir dans la tête d’Henry. Son intimité apparaît alors clairement dans les souvenirs ainsi dévoilés. La sexualité serait la plongée dans un autre élément. Celui que sa mère, désormais frappée d’Alzeihmer, aurait voulu lui faire découvrir en le contraignant à la natation.  Un joli portrait de femme une fois encore par le recours à la littérature. La mère aurait eut selon son fils un univers mesquin et hystériquement bien rangé : celui dont une partie de la littérature anglaise féminine, d’Austen à Eliot, aurait si bien rendu les subtilités.

Dès lors, cette reconstitution du plausible sert surtout dans Samedi à rendre cette sensation d’étouffement de la réalité. Une fois encore dans une transmission filiale. Le fils d’Henry est musicien.Lors d’une répétition, Henry connaît un instant de communion. Ceux qui nous

offrent un aperçu de ce que nous pourrions être, de ce que nous avons de meilleur, de ce monde impossible où l’on donne tout aux autres sans rien perdre de soi-même.

Notons pour conclure la finesse avec laquelle McEwan répète un truisme de la littérature anglaise. Tout ce samedi, ordinaire et pourtant tragique, se déroule en marge des manifestations contre la guerre en Irak. Un traumatisme dont le roman anglais paraît ne pas se relever. Le dialogue avec la fille en donne une vision intelligemment contradictoire.

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4 commentaires sur « Samedi Ian McEwan »

  1. Oh bah j’ai eu une bonne intuition en prenant un livre de cet auteur en occasion. (Sur la plage de Chesil, je ne sais pas si tu connais – pas encore lu)

    Je n’avais pas plus envie de le lire que ça, mais avec la chronique de celui-là, je m’y mettrai peut-être plus tôt. Merci 😀

    Aimé par 1 personne

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