Dans une prose à la fois familière et captivante, Jaenada démonte un fait divers et rend compte de sa construction judiciaire. Sa quête documentaire obsessive est décrite avec une belle ironie qui, à la longue hélas, transmue ce rabaissement de soi en un soupçon de fierté, voire de jugement moral.
La serpe est un livre dont a énormément parlé. Son succès est compréhensible. L’auteur nous entraîne à sa suite avec un déroutante facilité. On se laisse très facilement porté par sa prose pleine de digressions amusantes, de précisions incarnées. Jaenada nous plonge dans un univers d’emblée familier. Son personnage d’enquêteur neurasthénique, paniqué dès qu’il outrepasse le périph parisien, est sympathique.
On croit à ses reconstitutions d’une époque justement par l’exposé constant de ses failles descriptives. Ce parisien dont les seules sorties confessées sont vers son habituel bistrot (à moins d’une minute trente de chez lui) se sait peu apte à décrire un paysage périgourdin. En conservant pourtant une évidence visuelle qui n’a besoin, à mon sens d’aucun plan, quand il patauge dans la mise en scène du décor du drame il convoque les mânes de Balzac. Joli dévotion ironique.
Accumulons les preuves : un jeune qui se permet de salir l’un de nos plus prestigieux auteurs classiques a forcément mauvais fond.
Elle nous permet d’entrer dans le sujet. Pour moi, la tentation de retracer un parcours biographique demeure un exercice de flic. Un statut particulier à la réalité matérielle de faits avérés. Dans une première partie (dont l’opposition systématique avec la suite est trop mécanique) Jaenada reconstitue la vie, selon lui trop rocambolesque, d’Henri Girard, resté pour la postérité sous le pseudonyme de Georges Arnaud. L’auteur du Salaire de la peur. La très forte implication du personnage auteur dans son texte me paraît admirablement fonctionné tant que Jaenada emploie un discours d’accompagnement, double sa mise en abyme d’une doublure du texte. Un seul exemple : l’excursion commence par un pneu dégonflé, Jaenada s’amuse à se figurer en épigone des protagonistes du Salaire de la peur, un convoyeur sur un trajet explosif qui s’apparente davantage, de son propre aveu, à un épisode de la Bibliothèque Rose.
La serpe comme cette littérature enfantine joue d’ailleurs sur cette illusion qu’il ne va pas se passer grand-chose. Malgré de très nombreuses digressions, un emploi parfois labyrinthique des parenthèses, Jaenada entretient un véritable suspens. Une lecture addictive. C’est d’ailleurs cette impression de se laisser prendre au jeu qui invite à trouver des réserves à ce texte.
L’humour me paraît (sans la moindre originalité) un portrait assez exact des conceptions du monde de celui qui l’emploi. Le style de Jaenada flirte souvent avec la familiarité, voire la vulgarité.
on ne saura donc pas s’il s’est réveillé la tête dans la cuvette des chiottes après une nuit de beuverie, si Annie mettait les dents ou si Marie-Louise préférait la levrette
Cette remarque pourrait laisser entendre une certaine pudibonderie de ma part. Au contraire. L’approche de la sexualité par Jaenada donne à voir parfois une certaine grossièreté de son point de vue. Il semble alors hautain malgré sa façon de sans cesse se moquer de lui-même. Citons seulement un bref épisode. Jaenada déjeune seule, dans une ville de province, se croit observer, poursuivit. Tout ceci est fort drôle. Jusqu’à ce qu’il observe un couple, nécessairement extra-conjugal, obligatoirement libertin…
Un détail d’une extraordinaire mauvaise foi. Je n’en disconviens pas. Usons-en comme une imitation du procédé auquel ne cesse de se livrer l’auteur. Lui se prétend fasciner par l’anecdotique. Il excellRevenons-en aux réticences qu’il suscite.e à donner vie à ses très nombreuses recherches. Hélas, elles fonctionnent sans doute un peu trop à l’indignation. Les remerciements nous le révèle d’ailleurs, Jaenada a voulu abandonner son enquête quand la culpabilité de son objet lui a semblé bien trop évidente.
La première partie présente, avec un feint premier degré, une accusation implacable d’Henri Girard. Salaud ordinaire, viveur et profiteur, exilé et dont le retour et son succès va le pousser, en une rédemption douteuse, à se passionner pour toutes les injustices judiciaires. Une seconde partie, avec un vrai talent qui nous enchaîne à cette lecture, décrit un procès assez hallucinant où le non-lieu apparaît comme un improbable retournement de situation. Ne paraphrasons pas davantage ce roman très plaisant.
La justice est parfaitement inique, s’en indigner paraît naïf, s’en indigner nécessaire et en documenter soigneusement les incompétences une noble tâche. La plongée dans les rouages d’une enquête s’avère parfaitement passionnante. Un coupable tout désigné et la machine judiciaire s’acharne à prouver son atrocité par des jugements moraux. Affaire entendue. On reproche à Meursault non tant d’avoir tué un arabe que d’avoir bu un chocolat le jour de la mort de sa mère. Le présumé coupable de La serpe aurait fumé une clope, bu de l’eau de vie, face aux cadavres de sa famille. La justice accuse Girard d’entretenir des liens peu conformes avec son père. Il l’appelle par son prénom ! Jaenada reprend l’enquête, nous laisse consulter les pièces. Son portait devient alors complet. Girard n’est probablement pas coupable. Il n’en devient pas pour autant aimable. Dès qu’il s’efface un peu, surtout quand il cesse de tirer d’encombrants et hasardeux parallèles avec ses précédents romans, l’auteur donne un visage à une époque. Un procès en pleine Occupation aura une portée politique, une atmosphère dans laquelle on se plonge avec un vrai délice.
Pourtant, lors du récit du procès, Jaenada s’amuse des manœuvres de l’avocat. Maurice Garçon, un personnage parfait, ne démontre rien mais sait induire le doute. Hélas, La serpe dans sa dernière partie procède de même. L’examen des pièces conduit à désigner un nouveau coupable. Jaenada semble alors peu soucieux de relever la fragilité de sa construction accusatrice. Peut-être même se laisse-t-il aller à quelques raccourcis psychologiques.
Une de tes meilleures chronique je trouve. (et je ne dis même pas ça parce qu’il y a une référence à mon livre préféré, je le jure)
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Merci, j’avais un peu peur de m’être montré un peu flou.
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Vous plaisantez ! Vous êtes un écrivain
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Et maintenant je vais m’acheter ce livre. Pourtant je hésitais par peur d’un schéma trop reconnaissable depuis La petite femelle. …merci
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Je n’ai pas lu la petite femelle. Peut-être est-ce un peu trop similaire.
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Pareil dans la mesure ou présentation des « faits » (avec une recherche historique phénoménale) et « démontage » des faits du procès…. + fin de vie de cette femme …. Je me souviens juste que parfois c’était jouissif….
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