Sauve qui peut (la révolution) Thierry Froger

 

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Roman superbe et surprenant où la confusion avec son sujet touche au sublime. Son titre l’indique Sauve qui peut (la révolution) se révèle un exercice d’admiration au cinéma de Jean-Luc Godard, une pratique d’imitation tant ce livre ressemble aux films de J-L.G : désinvolte et profond, travaillant le motif d’histoires entremêlées et confondues. Thierry Froger signe ici un objet « littéraire » tant son écriture est d’une rare qualité et amalgame les langues de la Révolution Française et celle plein de faciles paradoxes de J-L G.

Sans doute, pour apprécier ce roman singulier, convient-il d’avoir une certaine connaissance de l’œuvre de Godard. Ou plutôt faut-il que ses films vous aient marqués. Thierry Froger le fait dire à son personnage Godard (toujours désigné à distance comme J-LG) dans un de ses chiasmes résiduels : il ne suffit pas d’aimer son (le) cinéma mais que le cinéma vous aime. Notons d’emblée la belle appropriation stylistique. Le romancier copie le phrasé, ses prétentions et son ironie. Aimer Jean-Luc Godard ne reviendrait-il alors pas à se demander s’il ne se fout pas un peu de votre gueule, de votre désir de comprendre.

Capture-9Loin d’être spécialiste, les images de Godard, ses dialogues d’ailleurs surtout et sa littéralité font partie de mon histoire. Belmondo lisant dans sa baignoire du Élie Faure, agaçant Samuel Fuller pour savoir ce qu’était exactement le cinéma, Raymond Devos sur l’embarcadère. Pierrot le fou donc surtout. La période dont il est question ici m’est, avouons-le, un peu moins connu. Pas la plus simple de Godard non plus. De vagues souvenirs de Prénom Carmen, de Nouvelle Vague et surtout, plus précis et plus entêtant, d’Histoire(s) du cinéma. Thierry Froger s’en alimente pour écrire son roman qui, à l’instar de son objet, ne raconte pas une histoire, fut-elle, plurielle mais s’intéresse au mythe, à sa légende et donc essentiellement aux images qui le véhiculent. Une des idées développées par Godard dans Histoire(s) du Cinéma  reste que le cinéma est un dialogue avec les ombres : un exercice d’oubli par un dialogue entre les vivants et les morts. Une histoire spéculative, en miroir car toujours destinée à être projetée. Désolé pour le sérieux, voire la prétention.

Tentons d’en sortir en rappelant que le cinéma de Godard est drôle. Son cinéma s’enroule autour de calembours. Comment n’être pourtant pas persuadé que ce tangage du langage, pour pasticher Michel Leiris, n’éclaire pas nos plus latentes zones d’ombres ? Dans Sauve qui peut (la révolution) Thierry Froger a le bon goût d’aborder cette pensée avec une distance rieuse, typographique.Sur des esquisses de scénarios (un bien grand mot), il ajoute des notations manuscrites, des réflexions en forme de jeu de mots qu’il n’est pas interdit de trouver pathétique. La police choisit pour cette insertion m’a semblé un rien trop mécanique. Je l’aurai préféré dessiner. Le procédé pourrait paraître artificiel mais il n’est jamais répétitif.

Nous rentrons d’ailleurs ainsi au cœur du propos. Pour le cinéaste, la fiction serait une façon d’atteindre à la vérité. Froger imite ce dispositif. Son roman nous raconte la manière dont Godard fut embauché par Jack Lang pour tourner un film commémorant la Révolution Française. Saluons l’audace. Froger retrace la genèse de ce projet qui se perdra dans les alcôves des ministères. Contrairement à Laurence Cossé dans La grande Arche, il n’éprouve aucune fascination pour ces enjeux de pouvoir. Il s’en moque ouvertement. Adopte sans doute ainsi le point de vue de Godard envers les institutions : on en joue, tente d’en tirer le maximum de financement mais, en bon artisan, on respecte ses engagements.

Avec un modèle un peu plus grand et complexe que celui du constructeur de la Grande Arche de la Défense,  Sauve qui peut (la révolution) n’en serait pas moins profondément ennuyeux s’il n’était qu’une reconstitution de ce projet. Avec son sens certain de la titraille, Godard l’intitule Quatre-vingt treize et demi. Froger transmue son sujet en histoire spéculative. Expliquons-nous. Le film ne se fera pas. Il en restera (c’est du moins ce que le roman affirme) qu’un long générique. Le livre le laisse défiler en neuf longues pages. Le lecteur vérifie ainsi sa reconnaissance des références aussi cryptiques que dans un film de Godard. Profitions-en d’ailleurs pour souligner mon très léger désaccord sur Léos Carax : le traiter d’épigone de Godard me semble parfaitement injuste. Souvenir de cinéma une fois de plus : intouchables images de Mauvais Sang ou de Pola X. Passons.

Thierry Froger admet n’avoir rien demander, au contraire, à Godard. Pourtant, son invention de scénario paraît d’une totale crédibilité. J-L.G prétend jamais n’en écrire et ceux qui nous sont livrés seraient une façon de faire patienter l’institution. Là encore, l’auteur de ce roman dont j’ai l’impression de tout juste commencer à parler, suit une idée lancée dans Histoire(s) du Cinéma : retracer l’histoire des films qui ne se sont pas fait. Très belle scène finale, J-L G consulte un dictionnaire : la révolution serait, au sens premier, ce qui nous ramène à notre point de départ. La beauté de ce roman tient alors non à sa dévotion à l’échec (I’d rather not) mais plutôt à la magnificence des pistes successivement empruntées pour rendre compte d’une commémoration à laquelle il veut rendre toute sa grandeur. Une des hypothèses (je reste plus dubitatif sur celle d’une adaptation ligérienne de La nuit du Chasseur) incarne l’idée d’un grand film. Godard veut incarner sa révolution par celle que la légende a conservé comme « l’image ambulante de la Révolution » : Théroigne de Méricourt. Elle s’enfermera ensuite dans la folie, écrira des lettres à un Danton mort. Cette concordance des époques, ces dialogues déliés avec les morts comme parfaite incarnation du cinéma de J-LG. Tout le roman virevolte autour des différentes manières de perdre la tête. Être fou, dans un définition que l’on dirait piquer à Godard, serait être mort en étant vivant. Ou encore, Danton essayant de recoller une tête lui pour qui la Révolution aura aussi été une façon de perdre la tête.

Capture-6Il faut, si tant on est qu’on le puisse, sauver la révolution. Une idée à laquelle Thierry Froger apporte toute sa sympathie. Sans naïveté, comme aurait dû le faire le film de Godard, son roman traite des retombées de l’enthousiasme révolutionnaire. Sauve qui peut (la révolution) parvient à le faire par le miracle fragile de la langue, par des « pFroger.jpghrases coagulées dans la langue de l’an II. » Le roman se construit alors sur un portrait spéculatif de Danton : il s’agirait de savoir ce qu’il serait devenu  s’il avait survécu à sa Révolution et à la Terreur.

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Mais nous étions moins assurés pour jauger les hommes et comprendre ce que nous étions parmi eux et ce que nous deviendrons si nous finissions, étonnamment par leur ressembler, à la faveur du contact : des fantômes  et des idées, des idoles et des idiots.

Je ne sais rien de Thierry Froger. Tant mieux. On le dit poète, sa prose s’en ressent agréablement de par sa couleur (les aubes sur la Loire) et sa sensualité. L’indéniable travail documentaire de ce roman passe donc par une très fine appropriation de la langue. Impossible de ne pas penser à un possible pastiche des Onze de Pierre Michon. La phrase heureusement est moins chantournée. L’ombre du père Hugo bien sûr. Celui de Quatre-vingt treize et de ses envols lyriques emphatiques. Sauve qui peut (la révolution) reste une glorification du rêve, de ses éveils douloureux et de son style aussi oratoire que celui de Danton :

Car la vraie condition de l’homme, c’est de penser avec ses mains pour transformer le monde avec ses rêves.

Ça sonne bien. Comment n’avoir pas envie d’y croire ? Une des parties passionnantes de ce roman est alors l’histoire spéculative de Danton. J-L G reprendra contact avec un de ses anciens camarades maoïstes pour en apprendre davantage sur son sujet. Jacques Pierre vit sur une île de la Loire (Froger la décrit en connaissance de cause). À la manière de Vie prolongée d’Arthur Rimbaud, il écrit une vie possible de Danton. Il imagine que Danton aurait été exilé sur son île. Le récit ne trouvera pas d’éditeur. Il sera intégré dans le roman est crée ainsi de très jolis adéquations, échos subtils et différenciés. Une très belle comparaison, pour ne prendre qu’un seul exemple, Robespierre et Danton entretiendraient un dialogue par delà la mort comme J-L G le ferait avec Truffaut.

Capture-5.pngLa révolution serait une « robinsonnade d’opérette. Un abri insulaire où développer les utopies qui sont, éthymologiquement sans lieu. Un film de Godard n’en serait pas vraiment un sans une grande et romantique histoire d’amour. Sa réalité est bien sûr une pure convention de cinéma. J-L.G tout à la fois oncle et ogre tombe amoureux de Rose, la fille de son ami. Belle romance mélancolique comme si « Rose était le véritable nom de l’image impossible de la Révolution. » Un dernier mot alors pour dire qu’à travers ces différents personnages (des ombres disparues bien sûr), Froger évite l’hagiographie. Par la mère, une terroriste d’extrême-gauche, il souligne le soupçon de mysoginie de J-L G mais aussi, sous les mots ivres de son camarade de sa façon de se réfugier dans son rôle d’incompris, dans une mélancolie définitive par le contexte historique (la guerre à Sarajevo qui deviendra un motif de son œuvre) pour se faire plaindre et continuer à faire exactement ce qu’il veut en artiste monomaniaque qu’il est.

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