Couleurs de l’incendie Pierre Lemaître

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Suite du remarquable Au-revoir là-haut, Couleurs de l’incendie poursuit cette dénonciation ironique, burlesque parfois, d’une société qui court à sa ruine. Centré cette fois sur la banque et la presse, la montée des périls et la capitalisation de l’armement, ce roman de Pierre Lemaître met en scène le plaisir de la vengeance. Romancier populaire, l’auteur sait captiver son lecteur par la tenue de son intrigue et la précision rieuse de sa prose.

Se lancer dans une suite expose toujours au reproche de s’imiter au de reproduire une recette au succès amplement mérité. La première partie de Couleurs de l’incendie ne me paraît pas tout à fait exempt de ce reproche. Peut-être à cause de son adaptation cinématographie (un tantinet proprette et sans cette rage contenue dans la langue de Lemaître, finement ironique et lapidaire quand son jugement tranche), la poursuite des démêlés des survivants de la famille Péricourt peut sembler manquer légèrement de l’évidence visuelle d’Au revoir là haut. Avec un rien de mauvaise foi, possible de penser que l’enterrement de Péricourt père, l’accident de son petit-fils qui atterrit sur la tombe, reproduit le dispositif du premier roman. Un incipit d’une limpidité burlesque pour souligner toute l’ordinaire horreur de la scène.

L’entrée en matière (désolé) dans la tête d’un cheval du précédent roman paraît insurmontable. Risquons une hypothèse : Au revoir là-haut portait de brillantes visions de la grande guerre, de ses petits cercueils. Peut-être par, disons, la familiarité de ce thème traité par les plus grandes plumes de ce vieux vingtième siècle. On le sait depuis ces premiers polars (le titre hélas m’échappe de celui où le meurtrier reproduit des scènes de crime écrites par les plus grands noms : Mc Illvanney en tête, puisque le maître est également crédité dans les sources de ce roman), Lemaître excelle dans l’emprunt indécelable. La référence si cryptique qu’elle tient à un balancement de phrase. La fin des années folles, la montée des fascismes est un terrain, peut-être moins populaire. Le bleu du ciel de Georges Bataille ou le génial et méconnu En joue de Philippe Soupault n’apporte sans doute pas autant d’image.

Après cette scène qui, certes déjoue admirablement les échos et les redites, la manière dont Madeleine Péricourt reprend mal la succession familiale m’a semblé un rien longuette. Un peu trop de détail, peut-être même de l’acidité dans le portrait de cette insouciance. On le sait trop : elle dansait, à crédit, au bord de l’abîme. Peu de pitié pour cette riche héritière, pour ses aventures, pour son dédain. Pourtant Pierre Lemaître excelle à mettre insidieusement les éléments en place. Tentons de ne pas dévoiler l’intrigue tant on si laisse prendre avec un plaisir contagieux. Madeleine est manipulée. Bien fait pour elle ne peut s’empêcher de penser le lecteur. Il en suivra avec d’autant plus de délectation l’implacable revanche.

La deuxième partie, après l’effondrement bancaire dont l’inscription historique sert d’arrière-fond pas trop pesamment composé, est un piège d’une redoutable efficacité. Auteur de polars assez redoutable, Lemaître joue ici de tout son savoir-faire. Le livre se lit d’une traite. Il est de bon ton d’y voir un reproche. Passons. L’auteur préfère se moquer de lui, de la charge sociale que contient Couleurs d’incendie. Dans le portrait d’un immonde journaliste, Lemaître portraiture ce que son roman parvient à éviter, de taper

un peu partout avec une prédilection pour les sujets qui relevaient d’une certaine morale, assez primaire et séduisante pour être partagée par le plus grand nombre. {…} Des choses simples pour des gens simples et qui frappaient comme des évidences.

Je n’ai pas encore entendu ni lu d’entretien avec Pierre Lemaître. Toujours un moment très agréable dans sa défense d’un roman populaire sans populisme. Sa colère trouve toujours une juste manière d’éviter le manichéisme. La vengeance de Madeleine n’est pas franchement morale, elle-même n’est jamais tout à fait aimable. Le personnage de M.Dupré est à ce titre une incarnation parfaite de cette ambiguïté dans un individualisme égoïste qui ici n’oublie pas de se payer. Sympathique,

Il était libertaire dans l’âme, comme d’autres sont croyants, pour lui-même, sans besoin d’en offrir aux autres la manifestation.

Difficile de ne pas s’y reconnaître. Comme d’ailleurs dans la dénonciation des journalistes. On imagine facilement l’aisance avec lesquels ils parviendront à ne pas s’y retrouver. Peut-être en soulignant d’hasardeux parallélisme avec l’époque. L’instrument de la chute de Madeleine forgera une sorte de prétendu dépassement des critères politiques, ni de droite ni de gauche mais totalement soumis aux puissances de l’argent. Toute ressemblance avec le gouvernement actuelle serait purement fortuite. Même si le personnage de Paul (à nouveau infirme) ne marche pas – encore désolé – celui de la cantatrice à la souffrance tragique, silencieuse comme le sont les grandes douleurs dans ce qui me semble un souvenir d’Hugo est parfait. Sa résistance au nazisme, vite passée sous silence mais repris comme une légende, est une très belle vision de la perspective politique portée par Couleurs de l’incendie. Mais ne boudons pas notre plaisir : une lecture constamment drôle, enlevée, sans stéréotype et toujours avec une hargne sans concession d’être rentrée.

 

6 commentaires sur « Couleurs de l’incendie Pierre Lemaître »

  1. Je tiens à dire pour commencer que je suis grave jalouse car je ne lirai probablement pas ce livre avant des mois alors que j’en meurs d’envie.

    Ta chronique me rassure beaucoup, j’avais les mêmes appréhensions que toi sur cette suite, je soupçonnais les mêmes dangers, écueils que l’auteur a su éviter apparemment. Une ou deux phrases dans ta chronique m’ont fait rire, ce qui m’a en plus rappelé l’ironie d’Au revoir là-haut et le bonheur qui m’attend à lire Couleurs de l’incendie quand je le pourrai. Une brillante chronique, merci pour cet avis que j’attendais, pas forcément de toi, mais ça me fait encore plus plaisir de le lire sur ton blog.

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