Avec un vrai talent pour l’intrigue, Selma Dabbagh nous plonge, sans militantisme, dans l’horreur de Gaza. Histoire d’une famille pleine de secrets et de blessures, de tentations terroriste Gaza dans la peau nous transporte dans le dépaysement d’une lecture noire et juste.
Les éditions de l’Aube font le pari de nous présenter des romans qui assument leur aspect didactique. Le roman noir, dès sa fondation tient à rendre compte d’une réalité sociale. L’aube noire aime à déplacer cette réalité. Je vous avais parlé du solide roman La disparue du Vénézelua. Gaza dans la peau est de la même facture. Bien sûr, il serait facile d’envisager ce genre de volonté pédagogique avec un rien de condescendance. Voire se demander si le roman doit vraiment être instructif. L’essentielle, une fois de plus, reste l »écriture. Dans ce roman jamais l’auteur ne paraît être un écrivain à fiche, de ceux dont on sent qu’ils ont soigneusement potasser le contexte consciencieusement rendu.
La plongée dans la bande de Gaza reste à tout moment sensible. Jamais larmoyante ou sirupeuse. Gaza dans la peau excelle à nous rendre ce que l’on peut deviner comme une représentation cohérente de la vie dans « les territoires occupés ». L’expression en elle-même relève toute l’inhumaine absurdité de ce thème. Si vous suivez ce carnet de lecture depuis quelque temps, il ne vous a pas échappé que la littérature israélienne me passionne. Peut-être justement par la gêne que suscite sa lecture. J’en parlai à propos de l’ambiguïté politique devinée dans L’archipel des Solovki : une certaine ambivalence chez le lecteur a apprécié les drames intimistes de David Grossmann, les monologues si étouffants de Zeruya Shalev ou la prose drôlatique de Benny Barbash quand autour règne la misère et l’oppression. Pour ne pas tomber dans le jugement moral, souvent très naïf, sans doute est-ce cette urgence et cette culpabilité qui donne toute sa force à cette littérature sans doute d’ailleurs très différente. Néanmoins, un indéniable plaisir à découvrir un point de vue gazouite, une écriture palestinienne.
Cette situation est trop injuste pour qu’on la justifie, trop tordue pour qu’on la rectifie. Si tu t’efforces de trouver le moyen de la comprendre, tu finiras forcément par la justifier d’une façon ou d’une autre. Tu seras foutue et nous, perdus.
À travers le destin de Rashid, de son frère Sabri et de sa sœur Iman, Selma Dabbagh livre une très fine réflexion sur la possibilité d’un engagement politique. Sur place, ou se passe l’essentiel du roman, cet engagement semble condamner à la violence mais surtout aux luttes intestines. Déchirements et trahisons qui m’ont d’ailleurs semblé un contexte fictif peut-être un peu léger par volonté de ne jamais entravé la lecture.
Il faut d’ailleurs souligné que l’aspect de roman noir tarde à arriver. Aucunement un reproche de ma part. Dabbagh prend ainsi, avec un vrai sens du rythme, de donner un visage à la vie là-bas. À Gaza aussi les relations entre les hommes et les femmes demeurent problématique. L’auteur n’appuie cependant pas, assurée dans sa certitude de n’avoir rien à démontrer. De très beaux instantanées, des scènes de café, de rues ou des bribes de dialogues saisis à Londres, ou cette façon de qualifier l’air « d’humide et intime. »
Pour renvoyer encore à mes lectures, Gaza dans la peau donne une tendre caricature de l’engagement des anglais, de loin. Il s’agirait ni plus ni moins de « pontifier, un joint à la main. » Une critique bien sentie que nous retrouvons dans Eureka Street. Dabbagh souligne qu’il faudrait livrer une représentation conforme de Gaza. Ne surtout pas admettre l’usage du cannabis.
De cette lecture très plaisante, retenons aussi le rôle du frère paralysé, prostré dans ses recherches sur l’histoire de la Palestine dont nous avons un portrait saisissant avant qu’il ne se révèle familial. Il énonce une très belle réflexion empruntée à Primo Lévi et pertinente à mon sens par son appui sur le langage. Un « deux pied » serait dans la terminologie des forces d’occupation un humain. Lui-même, plein de secret, ne le serait plus vraiment avec ses jambes amputés. Les habitants de Gaza le serait à peine, condamnés qu’ils sont à ramper dans la boue. La dénonciation s’arrête-là. Chaque personnage, plutôt mal, tente de se débrouiller. Gaza dans la peau aborde ainsi le territoire du roman : comment se débrouiller avec ses propres choix, peut-on en masquer les conséquences.
Un grand merci aux Éditions de l’Aube pour cette lecture.