4 3 2 1 Paul Auster

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Quatre destins, ressemblants par leurs différences, pour un seul personnage. Avec des variations infimes dans un récit ample et ancré dans le particularisme de la réalité personnelle, Paul Auster livre un roman magistral et sidérant, spéculatif et fluide. Tout l’univers, et ses obsessions, de l’auteur se retrouve dans ce formidable 4 3 2 1.

Commençons par une évidence, une sorte de redondance surtout de mon souci critique, cet indispensable roman de Paul Auster se suffit parfaitement à lui-même. Gloser sur 4 3 2 1 sans doute n’apporte pas grand chose à sa lecture qui vous entraîne dans ce plaisir insurpassable de se laisser raconter une histoire. Pis, évoquer ce superbe compte-à-rebours narratifs conduit nécessairement à en relever les ressorts qui participent au plaisir de cette lecture. Foin des prétentieuses réticences.

Les premières parties de ce roman se révèlent captieuses. Il faut peut-être lire ce roman s’en rien en savoir. Pas facile certes vu l’omniprésence médiatique de l’auteur lors de la sortie française de son roman. Au début le procédé littéraire toujours habile (hormis peut-être dans son dénouement) sait se laisser désirer. D’un chapitre à l’autre, il faut un certain temps avant de comprendre que le protagoniste Ferguson n’est pas tout à fait le même ou plutôt des événements sont censés se charger de l’altérer.

Récit dès lors de l’arrivée de la famille. Aisance du roman familial quand il se déploie dans l’univers cher à Paul Auster. Disons une sorte de précision fantastique tant le doute est la grammaire même de l’écrivain. « L’art d’évoluer à la moite entre {…} la prose et la fiction spéculative » selon les mots d’un des narrateurs qui bien sûr se rêve en homme de l’écrit. Un mot mal compris, une vieille blague juive en fait, et le destin d’une famille aurait possiblement été différent. Les Ferguson s’appelent ainsi car l’aïeul ne se souvient pas du nom que l’on conseille d’adopter à Ellis Island (Rockfeller) et il sera nommé selon la transcription phonétique de cet aveu d’une mémoire défaillante. D’une manière un peu prévisible à mon sens, l’ultime incarnation des quatre personnages au centre de ce roman décidera de repartir de ce moment pour écrire un roman intitulé (quelle surprise 4 3 2 1). Le procédé paraît sinon vulgaire du moins assez commun : Les amants polyglottes en jouait déjà. Fort heureusement, Paul Auster souligne que ce Ferguson n’aura que peu de succès. Est-ce lui qui finira clochard, refusant l’aide paternelle ? Un doute subsiste tant l’ampleur du roman laisse se confondre les différents personnages.

Pour parler doctement de ce roman magnifique il conviendrait, qui sait, d’en épuiser le plaisir de la lecture pour mieux, paraît-il, en retracer échos et poursuite. En effet, les enfances de Ferguson diffèrent subtilement. D’abord la ville de banlieue qui n’est pas la même mais surtout, avec une vertigineuse science du décalage, le temps n’est jamais exactement linéaire. Les chemins se séparent : le père de Ferguson a une entreprise, un de ses entrepôt sera soit cambriolé, soit brûlé, soit le père de Ferguson y trouvera la mort ou la fortune. Ferguson prendra ensuite des options différentes. Chaque chapitre est divisé en quatre parties racontant autant de conséquences différentes. Il serait sans doute possible de lire à la suite le chapitre 1.1 et les 2.2,3.2… Pas certain que ce soit profitable. J’ai opté plutôt pour une lecture linéaire, surjouant sans doute même la confusion sans trop chercher à identifier clairement à qui il était arrivé quoi. Sur plus de mille pages, cet effort de mémoire m’a semblé entrétranges loyautésavé ce récit toujours captivant justement par ses imperceptibles redondances.

Paul Auster se révèle ici un immense romancier justement parce que tous ses récits ont la même importance. Aucun ne paraît le gratuit exercice de style d’une exploration d’une hypothèse mélancolique. Avec un vrai génie, les différents Ferguson sont semblables, conformes en tout cas aux archétypes attachants derrière lesquels se construisent tous les personnages de Paul Auster. On retrouve d’ailleurs au passage le nom de certain de ces personnages les plus emblématiques comme celui, me semble-t-il du Livre des illusions ou celui de La Trilogie new-yorkaise. Des personnages de second-plan. À la lettre, des silhouettes qui donnent toute sa profondeur au tableau patient – une histoire de l’Amérique des années cinquante et soixante – et précis dépeint par Paul Auster. À l’image de ce qui se trouverait dans la lecture d’un journal un

patchwork d’événements simultanés et contradictoires, avec de multiples histoires coexistant sur la même page, chacune décrivant un aspect différent du monde, chacune défendant une idée ou un fait qui n’avait rien à voir avec celui qu’on traitait à côté, {…} des choses importantes et insignifiantes.

Le livre pour lui, on le sait, reste un labyrinthe ; l’intertexualité un jeu de miroir aux références trompeuses. Le base-ball et le cinéma muet. Assez curieusement, un emprunt à ce qui pourrait sembler une des obsessions de sa femme : un des avatars de Ferguson meurt lors d’une de ses colonies de vacances. Impossible de ne pas penser à celle évoqueée donc par Siri Husvedt dans Tout ce que j’aimais. Paul Auster s’approprie ce thème universel de la mort d’un enfant d’une façon qui lui ressemble et qui, pour moi, illustrer son jeu très malin de circulation entre ses différents personnages. Une sorte de croyance en la compensation. Après la mort de Ferguson, le récit reprend pour l’inverser presque la même scène : Ferguson éprouve la perte d’un ami, l’épreuve de compensation symbolique, à la fois touchante et pathétique.

Le deuil comme point aveugle de tout roman. Auster n’insiste pas mais parvient ainsi à nous en rendre toute l’émotion : un récit manque, le monde s’arrête. Chaque chapitre est alors troué de cette absence. Le compte à rebours éponyme s’enclenche ainsi insidieusement. Une autre version de Ferguson finit par mourir. Une de ses variations d’ailleurs les plus attachantes. Celle où, à défaut de croiser Amy peut-être, il devient bi-sexuel. Une exploration bienvenue tant elle échappe alors aux étapes obligés d’une évocation des désirs adolescents. Ce sera d’ailleurs ce manque (est-il franchement utile de le décrire comme désirant ?) qui pose une hypothèse de lecture. Ces différentes versions du même personnages sont sans doute un jeu de l’esprit. Une de ses rêveries à laquelle tous nous nous abandonnons. Que serais-je devenu si… ? Un moment, plus moyen d’éluder la disparition.

Il ne faut pas s’y tromper. Ce roman sait atteindre à une simplicité enviable. Un vrai amusement à voir revenir toujours les mêmes personnages mais occupant des fonctions imperceptiblement différentes. D’abord la tante Mildred et son mari qui revêtira diverses identités. Mais toujours, avec plus ou moins de distance et de sympathie, Mildred formera le modèle d’un soutien intellectuel. Répétons-le : une des grandes forces de Paul Auster reste sa confiance dans la culture, sa glorification des gens du Livre. À hauteur d’homme toujours, dans une prose admirable et effacée, il sait rendre l’enthousiasme des primes découvertes intellectuelles. Bien sûr, les grandes universités américaines, les séjours à Paris, les traductions de Desnos, l’ébahissement face à John Cage…, sont un peu chics. De très jolis aperçus du monde de l’édition néanmoins. Un portrait surtout admirable de l’écrivain et de sa réalité à la fois solitaire et solidaire comme le disait Camus. Les extraits de romans écrits par les différents Ferguson sont toujours magnifiques et s’écartent encore un peu plus de la linéarité du récit.

Notons d’ailleurs qu’Auster s’aventure dans le domaine politique avec pas mal de brio. Au risque peut-être de sombrer dans le récit historique un peu trop entendu. L’Amérique et ses années soixante-dix, ses émeutes raciales peut abusivement paraître sinon un récit trop attendu du moins une mise en histoire qui laisse encore attendre une prise en compte du contexte contemporain. Auster, de cette histoire pas si mal traité dans Les fantômes du vieux Pays a l’intelligence de faire juste une variation. Une sorte de jalousie amoureuse dans ce roman empli de désir, d’une jeunesse jamais traitée avec dédain mais toujours avec empathie pour la folie de ses projets. J’avoue ignorer l’entremêlement de la question raciale et des révoltes estudiantines dans cette insurrection à Columbia dont 4 3 2 1 donne une image crédible.

Le roman comme question de décor : au fond tous les personnages Ferguson se ressemblent par leur convergence dans un  décor toujours magnifié. New-York reste la ville qu’il me semble impossible de voir sans le regard de Paul Auster. 4 3 2 1 donne à entendre le charme de ses rues sans sombrer dans cette nostalgie, celle par exemple de C’en est fini de moi. Surtout d’ailleurs pour contraster son trait fin portrait d’une vie en périphérie

leur petit monde de banlieue où tout le monde voulait aller de l’avant, s’élever, trouver un bon boulot, épouser quelqu’un qui partageait les mêmes idées, tondre sa pelouse, conduire une voiture neuve, payer ses impôts, avoir 2,4 enfants et ne croire en rien sauf dans le pouvoir de l’argent.

Affirmation aucunement hautaine. Toute la question demeurant seulement quelle étranges loyautés nous pouvons conserver à cette aspiration adolescente. Le portrait d’une jeune homme en artiste témoigne d’ailleurs de cette même naïveté, sans doute puérile mais vivante. Plongez vous dans ce roman, il reste tant de choses à y découvrir.

 

 

9 commentaires sur « 4 3 2 1 Paul Auster »

  1. Décevant, décevant, décevant, dès le départ, il assène une écriture mécanique, un peu froide. Il récite, beaucoup de débit, de vitesse, trop tassé, trop récité.

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