Autopsie d’un mythe ou the writing did the talking. Sous ses allures de roman, de collages de témoignages aux curieuses résonances, La dissipation livre un portrait saisissant de Thomas Pynchon à travers tous ceux qui, follement, en poursuivent l’absence. Dans une prose somptueuse, par son subtile pastiche, Nicolas Richard explore la contamination paranoïde entre le roman et la vie de son auteur et ses romans.
Curieuse idée que d’écrire un roman sur Thomas Pynchon, de lui emprunter tous ses thèmes. Curieuse d’abord car, finalement, on peut se demander à qui s’adresse ce roman. Si vous ignorez tout de Thomas Pynchon peut-être que ce roman sophistiqué vous déboussolera. Si c’est le cas l’option la plus sage serait de vous plonger immédiatement dans l’œuvre de cet écrivain majeur. Tout ce que raconte Nicolas Richard se trouve dans les romans de Pynchon. L’arc-en-ciel de la gravité reste en ce sens sans doute le roman décisif sur l’exposition amusée d’une théorie du complot généralisé, sur la paranoïa comme seule façon sérieuse d’appréhender l’Histoire.
Sinon, il reste le mythe de Pynchon. Les grands traits en sont très connus : un homme dans une foule, casquette et capuche, comme seul résultat de la chasse à l’homme de cet auteur optant pour l’anonymat. Sa venue dans une caisse en bois au mariage de Bob Dylan, sa façon de se planquer par crainte de ce qu’il avait appris de l’utilisation par l’armée du LSD, par son rôle possiblement ambigu dans l’entrisme nixonien de la contre-culture. J’ai un souvenir limpide d’un film documentaire retraçant ce parcours atypique. Le titre ne me revient pas. Il doit être assez facile à trouver sur la toile. À moins que…
Curieuse idée que ce roman ensuite par une certaine lassitude de ma part pour cette nostalgie fantasmatique pour le moment de dissipation de la fin des années soixante. La contestation se laisse rattrapée : violence ou récupération. Discours peut-être un rien trop entendu. Ou comme l’affirme l’auteur lui-même, impossible de se détacher du soupçon qu’il y ait « quelque chose de formidablement daté dans son soupçon généralisé.» L’esthétique de La dissipation (avec ou sans italique) n’échappe pas totalement à ce reproche. Perec, Blanchot, Duras : encombrantes et insurpassables références. Parfois, pour dire quelque chose, j’entretiens l’espoir d’un dépassement de cet univers intellectuel. L’ère du soupçon pour emprunter, sans grande déférence, à Nathalie Sarraute.
Et pourtant, comme à mon habitude, ces réticences s’intègrent parfaitement à ce roman qui si facilement vous happe par son intelligence trop fine pour n’être pas ironique. La dissipation se révèle, dans la pluralité de ses voix toute contaminées par la paranoïa, une très belle réflexion sur l’effacement de l’auteur. La disparition de P serait, selon les mots de l’auteur, une galéjade. Une manière de piège où il enferme son lecteur. Tout lecteur de P finit par ressembler à ses personnages. La dissipation offre des portraits d’allumés de la poursuite de leur auteur fétiche.
« Celui qui va trop loin » interroge alors l’interprétation de facile reconnaissance autobiographique. Il retrouve les chiottes dans lesquels chiait P. Formidable, non ? Discrètement, Nicolas Richard nous demande alors ce que nous pouvons en tirer sur l’interprétation de l’œuvre de l’auteur ainsi poursuivi. Il met d’ailleurs en scène cette reconnaissance autobiographique. Un des personnages qui vient apporter sa pierre à ce portrait en creux est traducteur. Il expose ce qu’il serait facile de prendre pour les conceptions de l’auteur. Strict respect de la vie privée en dépit d’une intrusion amusée sur « les traces effacées d’une vie dans le contre-jour» On reconnaîtra la transparente allusion. Reconnaissons alors la capacité de Nicolas Richard à nous transmettre la fascination coupable pour « L’omission, un non, un nom, un manquant » dont il rend un portrait en connaissance de cause.
Ce personnage de traducteur devient d’ailleurs le moteur romanesque de cette œuvre qui, bien sûr, se laisse contaminer par le complot. La construction de ce court et admirable roman révèle alors toute sa subtilité. Chaque chapitre apporte un point de vue différencié. Ils se répondent dans un jeu de coïncidences que je vous laisse découvrir. Pour vous en donner une idée, plutôt que de parler des étranges mémos traduit par cet énigmatique traducteur (peut-être d’ailleurs seulement parce qu’une doctorante si intéresse de trop près), traçons-en à notre tour. Au hasard des lectures, les personnages reviennent. Il doit y avoir, pour tout adorateur de Pynchon dont je continue à être, un sens caché derrière ces rapprochements. Derrière, dans La dissipation une belle et amusée connaissance de l’imposture universitaire, on traite de Mark Rudd et des Weathermen, un groupe de terroriste dont parlait déjà 4 3 2 1 de Paul Auster. Étonnant, non ?
je l’ai lu grace à un de mes professeurs, et j’avoue que j’ai été totalement embarquée. Pourtant je ne connaissais pas du tout Pynchon !
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