Dans une prose parfois un peu plate, Alfredo Pita livre un exposé implacable de la violence meurtrière, militaire et discriminatoire déchirant le Pérou des années 80. Ayacucho nous plonge dans cette lutte sans visage où le terrorisme devient un prétexte à une répression sans visage. Réquisitoire justifié, nécessaire indignation, ce roman trouve toute son ampleur quand il parvient à radiographier le Pérou.
Avant que le charme n’opère véritablement, que le récit referme ses pièges, la langue d’Alfredo Pita peut paraître un rien journalistique. Toujours efficace, descriptive en diable mais aussi, hélas, toujours au premier degré. Une prose toujours simple, évidente au point de ne pas toujours, à mon sens, nous offrir la profondeur de champs d’une ambivalence psychologique.
Ce reproche me conduit, une fois de plus, au cœur du récit. Procédé de narration classique, au point de paraître usé, Ayacucho plonge un ignorant dans une réalité qui le dépasse. Manière élégante d’expliquer un contexte assez étranger au lecteur. Avouons que le Sentier Lumineux n’évoquait avant cette lecture que des échos assez confus. Spontanément, je n’aurais sans doute même pas su situer cette guérilla dont j’ignorais même qu’elle fut maoïste. Alfredo Pita empli avec un certain talent, un sens du rythme et une connaissance si intime qu’elle évite l’impression d’un écrivain débitant ses fiches.
Alors certes, il serait assez aisé de sombrer dans un penchant critique à mon sens particulièrement désagréable : prétendre mieux savoir que l’auteur ce qu’il aurait dû mettre dans son livre. Nous ne saurons rien des motivations, passablement opaques de ces terroristes réfugiés dans un insurmontable équilibre de la terreur. Nous n’en approcherons pas un seul. Hormis pour noter l’universel détestation des peuples autochtones dont la disparition, si haut, si loin, indiffère. Pita pourtant en donne un visage saisissant : le Sentier Lumineux reste indéfendable, en dehors des affectations d’intellectuels qui, à Lima, le soutiennent comme une posture ridicule et intenable. Pourtant, impossible de ne pas leur reconnaître d’avoir mis (à quel prix !) en lumière les déchirures de la situation péruvienne. Au passage, la plongée dans la bataille d’Ayacucho est assez passionnante. Vous ne le saviez sans doute pas plus que moi mais c’est lors de cette bataille, si peu étudiée qu’on peut même se demander si elle a eut lieu, que l’Espagne perdit toute son emprise en Amérique du Sud. Pita nous en donne plusieurs versions, on pense alors à Outre-terre de Kauffmann.
Durant toute sa première partie Ayacucho explore cette guerre de l’ombre sans véritablement en faire un thème littéraire. Un choix parfaitement justifié en vue de l’horreur qui ne saurait servir, peut-être, de métaphore à des littérateurs en quête d’esthétique. Tout ceci pour en venir à cela : la platitude de la prose, son style disons relâché si je n’avais peur de passer pour un censeur de la belle écriture. Cette platitude m’a surtout gêné, assez légèrement et de moins en moins, quand elle met en place une psychologie un peu trop naïve. Le héros semble parfois d’une bêtise embarrassante, à la limite du crédible hormis comme un procédé romanesque pour repousser le dévoilement. Un seul exemple : peut-on vraiment croire qu’un journaliste espagnol ignore que son pays soit le seul pourvoyeur de littérature, n’ait jamais entendu parler de la richesse de celle sud-américaine, prenne comme une révélation le fait, surtout en zone de guerre, que des témoins puisse lui mentir ? Pas impossible après tout si l’on se souvient du livre de Jeremy Gavron.
Pour que l’on ne reconnaisse pas trop l’auteur derrière son personnage, Alfredo Pita a la très bonne idée de le transformer en Espagnol, ancien indépendantiste basque. Ayacucho comme d’ailleurs La danse sacrale, interroge le lien amer avec la marâtre patrie. L’ombre de la guerre d’Espagne, d’une manière assez prévisible mais sans doute indispensable pour éclairer l’emprise de L’opus Dei, ressurgit. Vicente Blanco, nécessairement paumé dans sa vie même si l’auteur a le bon goût de ne pas présenter cette confrontation avec l’horreur comme une rédemption, a bien sûr été tripoté par un prêtre. Dans un équilibre assez improbable dans une fiction mais sans doute vérifié dans la réalité, il sera sauvé par un autre prêtre. Mais Ayacucho souligne bien l’internationalisation de l’oppression. Sans anticléricalisme, il suggère toujours l’égoïsme de l’altruisme surtout chrétien.
Malgré mes réticences, ne nous méprenons pas, dans son flirt avec la non-fiction, Ayacucho se révèle une lecture salutaire. Alfredo Pita ne cède jamais à la dénonciation même quand il met en scène l’insaisissable archevêque Ciprin et sa compromission avec un pouvoir meurtrier. Le dénouement d’Ayacucho nous livre alors sans faux-semblant le tragique de cette guerre invisible seulement quand elle ne vous touche pas directement. Une indéniable grandeur alors à célébrer, par-delà toute naïveté, la beauté de la solidarité, de ce soutien un peu fou, d’en témoigner quoiqu’il arrive.
A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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