Là où meurent les rêves Mukoma Wa Ngugi

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De Madison à Nairobi, de la question raciale aux manipulations humanitaires. Dans une langue dépouillée, avec une violence excessive dans sa prétention à la justice, Là où meurent les rêves offre une vision sans apprêt d’un Kenya entêtant, obstinément « authentique » et d’une Amérique égarée dans ses bons sentiments. Wa Ngugi signe ici un livre très sec et divertissant.

Là où meurent les rêves décrit l’oscillation entre deux cultures, deux mauvaises consciences. Assez étrangement, son auteur ne s’arrête jamais sur le choix d’une culture. L’inspecteur Ishmael (Wa Ngugi a le bon goût de se moquer de toutes références à Melville) incarne le malaise dans la civilisation. Ce passage obligé du roman policier n’arrête en rien une lecture toujours excessivement fluide. On se laisse totalement prendre dans l’intrigue. Une fois refermé reste l’interrogation sur la culture d’adoption. Dans quelle mesure peut-on véritablement la choisir ?

Ishmael, par un ressort dramatique un peu grossier, doit se rendre au Kenya. Miraculeusement, ce pays se transforme en terre d’adoption pour un idéal retour aux origines. La lecture de La secrète d’Hector Abad m’a rappelé la fausseté de cette évidence. Pour un Afro-Américain, le plus évident retour aux pays ne se fait-il pas, par défaut, au Libéria ? Une réticence hasardeuse tant elle est, de ma part, peu informée.

D’un point de vue strictement narratif, le retour au pays fonctionne parfaitement. Dispositif usuel que de placer un ignorant sur un terrain nouveau dont il envisagera toutes les spécificités. Wa Ngugi navigue assez habilement entre la couleur locale et le cliché pour cartes postales. La promesse d’exotisme me paraît tenu justement en se maintenant dans un univers mondialisé. L’intrigue dépasse les frontières. Elle fonctionne à plein régime quand elle dénonce l’entretien de la culpabilité par des organismes humanitaires mafieux. Moins quand Ishmael sort son flingue et exerce une justice sommaire.

Bien sûr Ishmael agit à l’image de son suspect dont Là où meurent les rêves peine à décrire l’ambiguïté morale. Peut-on vraiment tuer des gens pour en sauver d’autres ; une victime toute désignée d’un système américain hanté par la question noire est-elle vraiment innocente ; celui qui se donne en spectacle comme un homme de bien n’est-il qu’un salaud qui se planquera derrière son abjection ? Toutes ces questions sont à peine effleurées. La violence du roman m’a semblé les rendre mécaniques. Une manière de contamination entre la proie et celui qui la pourchasse. Dans un ghettho de Nairobi, Ishmael, sans l’ombre d’un remords, tue des gens pour mettre en scène l’égoïsme de son altruisme, Joshua – une de ses ordures à triple détente qui font un roman noir – se planquera derrière ce genre de spécieuses motivations.

La brièveté du roman, par sa tension, rachète en partie cette violence expéditive. En peu de pages, Wa Ngugi parvient à évoquer le génocide rwandais. Son point de vue sociale salutaire ne s’attarde jamais. Notons aussi le beau personnage de O, le flic kenyan. Sa désinvolture et sa rage intime, l’équilibre précaire de sa vie amoureuse, en font un partenaire idéal pour la suite prévue des enquêtes d’Ishmael.


Merci aux Éditons de l’Aube noire pour cet envoi

Là où meurent les rêves (trad Benoîte Dauvergne, 20 euros, 227 pages)

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