Longue hésitation avant de me plonger dans un nouveau bilan d’étape comme une reformulation de ce projet de carnet de lecture. Son aspect de rétrospection paraît, au premier regard, assez inutile. Une prétentieuse façon de figer des rapprochements hasardeux, capturés seulement au fil des lectures. Reconnaître surtout que les liens entre les lectures servent surtout à faire tourner les archives. Si tout ceci m’ennuie c’est surtout pour la surveillance statistique à laquelle je suis ainsi renvoyé. Partir du présupposé que certains articles n’ont pas eu l’impact qu’il méritait. Au hasard, mes notes de lecture sur Joseph O’Connor comme par exemple Maintenant ou jamais et sa très fine analyse de la constitution d’un mythe. Méconnaître alors que l’oubli oblige la résurgence. Doucettement, mes lectures s’installent sur le temps long…
Si j’ai repoussé l’élaboration d’une nouvelle note sur mon carnet de lecture, c’est aussi car je souhaitais faire un point sur son inscription dans le Service de Presse. Reconnaître n’en avoir rien à dire. Pas une once de plainte pour le travail impeccable des attachées de presse, pour le plaisir toujours intact de trouver un livre dans sa boîte aux lettres. Pour échapper à ceci, à ce préambule interminable, l’idée de départ était de placer ce quatrième point sur mon carnet de lecture sous le signe de la projection. Un mot rapide donc sur mes lectures estivales à venir en forme de préparation de la rentrée dite littéraire.
Signaler d’abord de très heureuses retrouvailles. Un rapport assez essentiel avec mes lectures, essentiellement contemporaines pour le moment, tient à ma certitude de suivre de rares auteurs. Évoquons d’abord celles dont je ne vous ai jamais parlé ici. D’abord Anne-Marie Garat dont je vous invite très vivement à lire La source annonce un nouveau livre toujours aussi romanesque, ancré dans une narration sensuelle et précise sans aucun doute par un rapport au réel avant tout ancré dans tous les romans qui précédent ce livre. Miroir d’un plaisir de lire, de s’abandonner aux enfantines aventures que savait reconstituer Italo Calvino dans Si par une nuit d’hiver un voyageur. Ne surtout pas en dire plus sur Le grand Nord-Ouest Anne-Marie Garat car, comme pour la rétrospection, la défiance envers les formules toutes-faites reste de mise. Crainte de figer une optique qui déformerait par avance la lecture. On conserve rêveur l’espoir, comme l’annonce la quatrième de couverture, d’un « roman de la mémoire et des dernières frontières, des légendes et des mythes amérindiens. »
Zadie Smith est une autre autrice dont je suis le travail toujours avec un certain plaisir. Swing Time semble promettre de retrouver intact son univers de métissage où la formation de soi devient une épreuve. En espérer une fausse légèreté, un air pop et joyeux sous une narration attentive et joyeuse. Je sais avoir apprécié Sourire de loup, un peu moins Ceux du Nord-Ouest. En tout cas une certaine hâte de vous parler de ce nouveau Zadie Smith. Pour évoquer des retrouvailles mon été se trouvera aussi occupée par la lecture de Une jeune fille perdue dans le siècle à la recherche de son père de Gonçalo M. Tavares. Un auteur toujours surprenant selon mes souvenirs, assez lointains de Un voyage en Inde. En attendre une allégorie pleine d’humour, une fugace et profonde philosophie. Une façon peut-être d’approfondir cette certitude : la littérature portugaise se porte vraiment bien. Surtout quand je me base sur le seul exemple de cet admirable polar qu’est Le collectionneur d’herbe.
L’autre grande rencontre prévu pour cette projection de lecture reste l’immense plaisir de voir qu’un nouveau Burnside est annoncé : Le bruit du dégel. Ne surtout pas en dire plus pour ne pas gâcher le plaisir de retrouver cet univers poétique déjà ici très largement évoqué ici qu’il s’agisse de L’été des noyés de Scintillation ou des Empreintes du diable, Burnside est un auteur indispensable. Pour clôre sur les écrivains très largement lus ici : un recueil de nouvelles de Richard Russo, Trajectoire, est annoncé. Pas encore reçu, je lirai avec un immense plaisir comment les nouvelles de l’auteur du Déclin de l’empire Whiting, de À malin malin et demi travaille sur le format court. Notons aussi la parution de L’hôtel Waldheim de François Valejo. Un autre auteur Viviane Hamy dont j’ai dû pratiquer un tant soit peu l’œuvre mais dont il me reste peu de souvenir. Ce qui tombe bien pour un polar sur la mémoire et ses manipulations. Pour continuer sur le genre, sur une autre maison d’édition qui a toute ma confiance, je vous parle très vite de 1994 de Adlène Meddi puisque le polar me paraît le lieu de l’appropriation de la mémoire autant se plonger dans celle de l’Algérie. On parlera aussi, pour continuer sur une maison d’édition dont les romans noirs sont toujours d’excellentes facture (citons Converti à Jaffa), d’Un été sans dormir chez Mirobole. Un polar belge insomniaque, de quoi réveiller l’été, en principe.
Si je ne vous ai pas encore perdu dans cette projection de lecture vaguement journalistique continuons sur l’appropriation de la mémoire par un roman hongrois, Le bûcher de Gyorgy Dragoman. Ménageons la surprise : tout lecteur espère découvrir un auteur dont il se devra de lire toute l’œuvre. Après la lecture de Seiobo est descendue sur terre, je suis prêt à attendre beaucoup de révélation de la littérature hongroise. Surtout pour un livre qui traite de magie, de mémoire et de réconciliation. Sur un thème, semble-t-il, assez proche Nami de Bianca Bellova convoque un Est lointain, un peu celui des Oiseaux de Verhoniva.
Sur le papier, La neuvième heure de Alice Mc Dermott peut paraître un peu moins aguichant. Une histoire de nonnes… Pourtant, La table ronde est un éditeur qui sait déjouer les résumés et continue à proposer une littérature qui ne se réduit pas à son pitch. Pour clore, cette projection de lecture, parlons de trois romans sans doute plus « expérimentaux » mais tout aussi intrigant. Les impeccables Éditions de L’Ogre ont eu la gentillesse de m’envoyer La rouille, le premier roman d’Éric Richer un roman sans doute visuelle, onirique. À moins bien sûr que ma vision soit perturbée par le très beau Rabot publié chez le même éditeur. Toujours dans la confiance pour un éditeur, dans la certitude de retrouver une certaine ligne éditoriale prouvant que la littérature reste une aventure, j’aurai un grand plaisir à vous parler de Isidore et les autres. Pas seulement pour l’éloge qu’en fait Zadie Smith mais aussi pour la curiosité pour une autrice qui, comme celle de Le grand leader doit venir nous voir, traduit elle-même son œuvre. Quelle variation cela produit-il ? Le dernier roman dont je peux vous parler est une exploration « littéraire » de la prose érotique, sa confrontation avec la virtualité des réseaux sociaux. Se dire serait aussi trouver les mots du désir, les vocables qui dessineront celui que l’on fantasme d’être. Publié chez Quidam éditeur, Seule la nuit tombe dans ses bras promet de très belles questions. Je vous en parle fin août pour accompagner la sortie de ce livre. Je vous parle très bientôt de De toutes pièces de Cécile Portier toujours chez Quidam. Un mot encore sur une maison d’édition, plus installée, Verdier à laquelle j’accorde toute ma confiance. Surtout à sa collection de langue allemande magnifiquement appelé Der Doppelganger. Avec un immense plaisir, j’y ai lu cette robinsonnade sauvage et poétique qu’est Kruso de Lutz Seiler. Un très grand livre qui dépasse l’actualité éditoriale.
Si je retrouve un peu de courage, je me lance dans la rétrospection des lectures. La paresse, comme le soulignait déjà Georges Bataille, reste la seule méthode de travail. Si ce n’est assez perceptible confesser la précipitation de mes notes de lecture. La hâte de finir, la certitude de ne pas épuiser le sens, de préserver, qui sait, l’intuition. Pas mauvais alors d’être confronter à un livre dont le génie nous dépasse et être ainsi renvoyé à sa propre insignifiance crique.Le très fragmenté Federico à son balcon renvoie à ce type de sentiment. Je ne sais si je suis parvenu à communiquer l’urgence à lire ce roman indispensable où le récit enserre toute les possibilités de révolte et de retour à soi.
On pourrait parler de la fragmentation narrative. L’exigence de ne pas conclure, de faire du roman comme un amoncellement de fragments, d’ébauches d’histoires qui débouchent seulement sur la possibilité d’inventer des coïncidences. Brûlées de Ariadna Castellarnau en radicalisait l’apocalypse dans son sens primordiale. Il convient sans doute de ne pas trop théoriser cet horizon d’attente déceptif. Une façon de se placer toujours au seuil d’une révélation. Il faudrait alors parler d’athéisme, théologie négative comme façon de maintenir la croyance que quelque chose se passe. Ou, d’une façon un peu plus personnelle, souligner à quel point chez moi toute croyance me semble appartenir à un moi enfuit. Excès de sérieux : il faudrait toujours s’exprimer en instaurant cette salvatrice distance à soi. Longtemps, j’ai conservé cette citation d’Antonin Artaud comme un viatique : « J’ai pour me guérir du jugement d’autrui, toute la distance qui me sépare de moi-même. »
Les histoires ne mènent, ce serait donc entendue, à rien. Il semble pourtant que dans leur mise en scène gît la possibilité de continuer à vivre les nôtres. Entretenons la curiosité pour ce qui commence, une rencontre sur un quai de gare, la possibilité de complot qu’elle dessine comme sait si bien l’évoquer Italo Calvino dans Si par une nuit d’hiver un voyageur mais aussi, et peut-être davantage, les rituels d’un effacement de soi dans la tension vers la création artistique. Vous l’aurez compris, il faut lire de toute urgence Seiobo est descendue sur terre Laszlo Krasznahorkai. Alors sans doute faut-il aussi en dire l’onirisme comme dans Chenil de Laurent Margatin ou dans l’humour débridée de cette quête d’identité livrée par Lucia ou l’âme russe.
Nos histoires ne mènent à rien et pourtant l’on continue obstinément à se les raconter. Le hasard de mes lectures poursuit ce récit de soi. Ne jamais renoncer à l’individu littéraire, à cette personnalité pleine d’un envahissant effacement. Se confronter avec un très large spectre de personnalités admirables, celle d’Edith Thomas, de Hans Magnus Enzensberger, de Ruth Kluger, de Markowicz ou se miroiter dans celle plus ambivalente de Malaparte ou celle d’une construction plus douloureuse d’André Blanchard. Modestement, avec une perceptible ironie, je m’y essaie comme pour une question de style.
Finir, comme on avait commencé : sur une projection. Il faudrait réfléchir sur le rapport à l’image comme le fait, à travers la peinture, le très admirable Falaise des fous de Patrick Grainville en cours de lecture.
Attends, là, je bugue sur un détail depuis le début de ton article… Tu lis plus que tu ne nous le fais entrevoir à travers tes chroniques ? Et moi qui trouvais que tu lisais vite et beaucoup déjà… J’étais loin du compte apparemment !
J’aurais bien aimé que tu nous parles de Zadie Smith pourtant… Avec ton écriture, ça aurait été génial !
Sinon, très bon carnet de lecture, comme d’habitude, je suis toujours autant admirative… Tu nous parles avec pertinence et justesse, c’est dingue.
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Je rends compte ici de presque toutes mes lectures. Sauf celles que je ne parviens pas à finir. Il s’agit-là plutôt du programme de lecture des livres reçus en Service de Presse et annoncés pour la fin août. Donc le Zadie Smith sera pour très bientôt.
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Oh d’accord, j’avais mal compris ! J’ai hâte alors 😉
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Reste coi devant cet océan de pages…
Me sens désespérément protozoaire avec mes 97 pages de textes courts ! 🙂
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