Recueil raturé de poèmes moqueurs et justes, assassinat romancé et commémoratif des illusions et merveilles de la poésie, Poéticide porte une voix singulière. Entre provocation, pastiches et calembours, Hans Limon propose une voix nouvelle : de la conscience de sa vacuité seule la poésie subsistera.
Avant de parler de ce livre déstabilisant, je ne sais s’il est vraiment utile de revenir sur mon rapport contrarié à la poésie : une défiance amusée, un enthousiaste sceptique, une rare remémoration de vers où la concentration de sens illumine une alchimie du verbe à la finalité toujours interrogative. Superfétatoire précision peut-être mais il me semble qu’il me faille déterminer d’où je parle afin de stabiliser mon regard incertain sur l’ambivalent Poéticide. Pour les lecteurs curieux, renvoyons à ma lecture de Glissements de Philippe Jaffeux.
Contournement, encore, du difficile commentaire. Quidam éditeur lance avec ce livre une nouvelle collection, Les indociles, où la poésie se mâtine de roman où elle suit sa voie inclassable, fixe sa voix inclassable. Idée, à mon sens, éminemment séduisante de restaurer le romanesque dans la poésie, d’en conserver l’aspiration dans une mise en scène qui n’en ignore ni les ridicules ni les infinies prétentions. Le temps du poète pasteur, voyant, phare, voire celui où son existence exemplaire modèle une façon autre d’être au monde, paraît d’un ridicule achevé. Et pourtant. La question centrale de Poéticide serait de savoir si une poésie peut exister en dehors de la haine de la poésie, du moins du rejet vomitif de tout ce qui la précède. Assertion, bien sûr, conditionnelle. La très belle incertitude de ce livre tient à la certitude de ne pas tout en avoir compris. Avancer alors pas à pas, en tuant chacun de nos jugements trop expéditifs, en raturant, comme le sont tous les poèmes, une logique linéaire et sans contradiction. Pour parler de Poéticide il faudrait adopter une pensée fragmentaire, enchâsser des épisodes sans solution de continuité. Autant de « Fragmensonges » pour employer un titre d’un des poèmes de Limon. Autant de figures de prétéritions pour mimer celles de Poéticide : je ne vous parlerai pas de l’inexistence de la poésie surtout parce que chaque phrase, chaque vers à la rime marrante, en impose la possibilité.
Causons roman, alors. Poéticide est un roman si Les chants de Maldoror se cantonne à leur dramaturgie assassine. L’intrigue romanesque se limiterait ainsi : les doubles d’un poète inexistant s’affrontent et s’assassinent. D’abord, dans l’ordre d’une évidence singulièrement défaillante, Louis Dorhic, peintre et poètes à ses majoritaires heures perdues. Disons-le responsable des passages en prose, des très belles reconstitutions d’un univers poétique celui de Byron, Pessoa, « des somnifères, un lit d’hôpital, des sangles et Sylvia plate au milieu des pointillés sans voix. », du corps sans organe du chiard Antonin Artaud au berceau de son corps sans organe et avec, en guest star, Picsou et Papa Trump. Ensuite, simultanément, la dramaturgie tient par ce vieil homme qui vient tuer les poètes. Voilà sans doute pour ma peu fondée association d’idée avec Lautréamont.
Enfin, ici entendu comme avant tout, Poéticide tient à son humour massacrant, hénaurme provocation. Manière surtout de prendre et de retourner les topoi : « enculer Thanatos pendant qu’Éros m’encule. » La métaphore sexualisée se défile dans une scansion salace, amusée, ou comme il est dit pour convoquer et réfuter la présence de Baudelaire : « Satan bat la cadence de nos allers-retours entre l’ennui et le néant. » Sans doute faut-il alors rendre grâce à la poésie de Hans Limon de nous épargner les élégiaques déplorations comme autant de souffreteux accès à cette réalité supérieure défendue par une conception hautaine, à hauteur de sa fausseté, d’une poésie en quête de Nature et autres majuscules vérités. Mais si la « poésie n’a ni queue ni tête » elle survient ici dans des vers à la perfection ironique («les fadaises des falaises/le clin d’oeil des cimaises ») ou autres plongées dans « les fosses/fort récentes » pour dévorer des « tares en tulles ». « Rideaux tirés sur l’épopée du vide » ce sera par emprunt pourra caresser l’indomptabilité du monde et le rendre habitable et disponible. Sous la farce la plus crasse, la gravité persiste : on ne se moque que de ceux que l’on connaît ou apprécie. Les dialogues avec Pessoa, Hugo ou Rimbaud prouvent assez cette grande familiarité de Limon avec ces grands anciens qu’il faut ensevelir. Curieux recueil où l’assassinat est hommage, la rature commémoration.
Un grand merci à Quidam éditeur pour l’envoi de ce livre singulier
Poéticide (92 pages, 13 euros)
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