Un petit livre plein de délices et de dérisions, de délicatesse et de distanciation. César Capéran ou la tradition nous promène dans une fantaisie oisive, rieuse et offre un de ces bonheurs contemplatifs face à ses descriptions détaillées, charmeuses. Louis Codet, débonnaire, se moque tendrement de ses personnages et dans sa prose à la perfection surannée interroge l’oscillation entre tradition et modernité dont nous ne sommes toujours pas remis.
Au fond le sujet de ce très court roman tient à son objet lui-même : découvrir son auteur paraît une de ces petites pépites, hors d’âge, qui capturent une époque et vous en laisse une image à la fois précise et déjà presque oubliée comme l’accès à une tradition ancienne oblitérée et qui perdure dans son effacement. Pas sûr de m’exprimer avec une clarté suffisante ; disons plutôt ceci : on ressort de la lecture de ce court livre avec cette même sympathie, à distance par amusement, pour l’auteur que le narrateur en éprouve pour César Capéran. « Passons ; hélas ! l’encre n’a pas d’odeur : qu’écrirais-je ? » Tout l’attrait de Louis Codet tient à l’équilibre syntaxique de ce genre de phrases. Au fond, comme le lecteur, je peux dire, une fois ce livre refermé « j’en étais à l’aise, j’en étais content ; je goûte l’harmonie des choses et des hommes. »
La difficulté de la glose commence alors. Une attraction amusée pour cette prose facétieuse où je perçois, question d’époque, un sourd écho à Max Jacob, voire une résonance avec les promenades désinvoltes, mais ici, plus policées, d’Apollinaire. Dans mes souvenirs très lointains au moins. Dire cette évidence lumineuse avec laquelle Lois Codet laisse perdurer la sagesse de l’oisiveté pour suggérer – il est trop élégant pour ne rien imposer – qu’il s’agit peut-être de la seule forme de tradition à entretenir. Celle qui se contente de savoir qu’il « il n’y a point de vérité que celles qu’on retrouve soi-même et quand vient l’heure. » Le bonheur serait d’obtenir un emploi plus ou moins fictif, au Louvres d’abord puis dans un musée Gascon seulement pour jouir de le vue.
J’étais bien étonné par cet étrange musée, qui ne contenait que quatre soupières, et une vue des Pyrénées : encore ne voyait-on celles-là qu’avec les yeux de la foi.
Mélancolie sereine dans son ironie retenue, tendresse de la moquerie. Le narrateur retourne voir son ami Capéran qui ne fait rien, se réclame de Poussin et de Pascal, de Diderot et de Bossuet (la tradition restera aussi inconciliable que ces références que le personnage se garde de consulter) mais peut paraître tout comprendre. Une sorte de sagesse populaire que Codet mettra d’ailleurs aussi en scène dans les rêveries que lui inspire un berger dans un autre fragment.
Pour dire enfin tout le charme de cette prose évocatrice, me revient l’invérifiable souvenir de la fausse simplicité des captations campagnardes de Colette. Codet que ce soit pour Paris, la Gasconne ou le Canigou mais surtout les Baléares, sait saisir la substance d’un lieu « où l’azur du ciel était si vivant qu’il me semblait téter de la lumière. » On pense aussi aux langueurs de Verlaine pour le dernier fragment aux allures de fêtes galantes où revient « l’éternel sanglot de la fontaine » et où les statues perdurent à « être pâle de la fatigue immense d’être belles. » Bref une élégance à la française, si j’ose dire, dont comme César Capéran ne vient aucune nostalgie peut-être justement dans l’invitation de Louis Codet à nous maintenir dans la contemplation d’une sagesse rêveuse.
Merci aux éditions de La Table Ronde, pour cet envoi
César Caspéran ou la tradition ( 6 euros 10, 139 pages)