Un cadenas sur le cœur Laurence Teper

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De la délicatesse dans la douleur, de la pudeur dans cette évocation des empêchements vers la vérité, une distanciation pleine d’ellipses et de retenues pour ce roman qui, par petites touches, approche les mensonges de toutes familles. Par la maîtrise émotionnelle de son récit Laurence Teper entraîne le lecteur dans une fragile conquête de l’identité par disparité avec la ressemblance.

La ressemblance est au corps de ce récit où la famille s’impose comme le berceau universel de la névrose. Le premier point d’attache de ce roman au charme trop discret pour n’être pas volatil, tient à la mise en scène de la nécessaire ambivalence de cette ressemblance. Laurence Teper sait maintenir un joli doute sur le caractère très possiblement autobiographique de son texte. Je ne veux surtout pas en vérifier la paternité. Même si la confession de l’histoire douloureuse de Claire Meunier ressemble à celle de l’autrice, gardons-nous t’en tirer la moindre conclusion. Ce flottement  permet d’échapper au narcissisme qui, en tout état de cause, se trouve déjà éluder dans la forte capacité d’Un cadenas sur le cœur à dépouiller la confession de ses artifices.

On pourrait sans doute comprendre ainsi ce roman : Laurence Teper se refuse de dévider le fil facile d’une émotion larmoyante, elle joue de la même, en sourdine, de cette ressemblance à laquelle elle donne des modèles anti-thétique. En poussant un peu on pourrait y voir une tentative d’humour mélancolique. Expliquons-nous. Au moment où son monde s’effondre, où une ressemblance vient remettre en cause l’identité de son père, Claire s’éprend d’un garçon malheureux, en grande partie pour sa ressemblance avec Kafka. Au passage, soulignons à quel point la seule photo largement diffusée de Kafka fausse la donne sur l’image de l’homme et de cet auteur. J’ai toujours vu dans ses yeux, une ombre de malice pour cette inquiétude dont son constant humour l’empêche de porter le stigmate. Pour se trouver elle-même, elle voudra le sauver. Le lecteur craint un instant, moi en tout cas, l’inscription dans une psycho-généalogie des plus douteuses. Pseudo-science couillonne de nos époques inquiètes, ce nouvel outil de normalisation psychologique prétend que les secrets de vos ancêtres vont resurgir et vous imposer tare et maladie. Et pourquoi pas un cancer du sein, en tant qu’organe nourricier, symbole du lien pathologique à la mère ? Avec une certaine grâce, Laurence Teper évite cet écueil. Peut-être par un recours à Balzac. Lui, croyait ou le feignait, de croire en une si arrangeante, pour un romancier, physiognomonie, les turpitudes de votre âme se reflètent alors sur votre visage. L’art du portrait balzacien se nourrit, je crois, de cette évidence trompeuse. Laurence Teper actualise ce jeu de ressemblance justement par une référence à la carrure balzacienne dont ne tarde pas à se doter le mari à la maigreur à la Kafka. Elle cite d’ailleurs Balzac, « all is true » en épigraphe pour congédier cette ressemblance autobiographique.

Ce jeu de ressemblance intervient ici pour moi comme un détour. Sans doute ne m’appartient-il pas de trop en dire. Pas seulement pour ne pas dévoiler l’intrigue de ce roman dont la partie enquête se révèle assez passionnante dans sa manière, expéditive et distanciée de rendre « l’épaisseur présente et vivante du passé. » Il convient aussi de faire preuve de la même pudeur que l’autrice : ne pas juger un passé dans lequel on se débat, nos maladroites façons de lutter contre trauma et névroses, au secret de cette identité vraie, intimement douloureuse. Parlons plutôt de la capture du bonheur balnéaire enfantin, ses tons sépias dont se joue Un cadenas sur le cœur. Disons aussi l’infinie délicatesse avec laquelle Laurence Teper évoque la folle fatigue maternelle, la douleur d’une fille qui tente de la comprendre, l’excuser, l’approcher ou au moins lui prêter ses mots quand celle-ci devient aphasique. Disons aussi la douceur qui persiste une fois ce premier roman refermé.



Merci à Quidam éditeur pour cet envoi

Un cadenas sur le cœur (189 pages, 19 euros)

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