Edith & Oliver Michèle Forbes

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Âpreté de la magie ou l’envers du décor de l’existence d’un illusionniste dont la vérité, tragique, apparaît peu à peu dans ce récit de déconvenues. Dans une langue d’une précision terrible, si visuelle quand elle incarne les souvenirs d’Oliver Fleck et si elliptique quand elle recouvre les souffrances et les acceptations d’Edith, sa femme, Michèle Forbes signe un roman empathique. Edith & Oliver est tout à la fois roman social sur le milieu du music-hall et plongée dans les aspérités d’une conscience souffrante et impossible pour ses proches.

De prime abord, on pourrait rester interdit par l’aspect naturaliste ou peu s’en faut d’Edith & Oliver. Plus Dickens que Zola cependant mais toujours avec une certaine fascination pour la réalité corporelle la plus froidement physiologique notamment dans des scènes d’accouchements, d’amputations. Un roman à l’ancienne qui néanmoins joue de son apparence démodée afin que sa magie insidieusement s’impose. La conscience sociale, sa description presque entomologique d’une réalité sociologique finement captée, reste somme toute une composante essentielle du roman. Vanité, je pense, de la croire obsolète, un miroir d’une époque abolie que l’on craint d’abord que nous présente Edith & Oliver. L’illusion n’est pas entièrement dissipée, on se laisse prendre à ce tour de prestidigitation qu’est ce roman tant il excelle dans l’art de la substitution et dans celui de donner un visage aux disparitions qui émaillent ce roman.

Il y a la magie évidente, la fascination des tours adroitement exécutés mais il y a aussi le sentiment que l’homme emplit l’espace. Il occupe le devant de la scène.

Michèle Forbes, sans regret ni glorification, parvient pourtant à nous faire pressentir la fin de l’époque du music-hall et son remplacement par le cinéma. Elle n’en tire, fort heureusement, aucune pesante symbolique. Les commentaires sont tues au profit d’une description, en passant, des conditions pécuniaires hasardeuses de la vie en tournée. L’envers du décor de ce qui jamais n’est évoqué comme cours des miracles, équivoque fascination pour ce monde prétendument interlope et dont Édith & Oliver montre surtout la lutte contre la misère et l’exploitation.

Des mots simples : envol – bond – course – bulle. Et non seulement les mots, mais les vastes espaces magnifiques qui s’étiraient entre eux. Avec elle, il avait appris à voir l’invisible. À regarder par-delà les faits concrets du monde tels qu’ils se présentaient.

Tel un magicien en tournée, sans prétendre à l’innovation formelle ou à révolutionner le genre, Forbes nous confronte à cette évidence : le roman focalise l’attention du lecteur sur ce qui n’est pas dit, sur les ressentis qu’il doit lui-même recomposer. Inutile d’insister sur l’alcoolisme d’Oliver qui, comme dans tous les récits du début du XX (surtout en Irlande ?), intervient à peine pour explication. Le plus captivant de ce roman reste la plongée dans la psyché de celui qui se voit devenir un salaud ordinaire. On songe parfois à La douleur de Manfred mais sans la sèche brutalité de Robert McLiam Wilson. Le naturalisme apparent (bien trop elliptique au fond pour s’y réduire)  fait néanmoins des miracles pour évoquer les insomnies d’Oliver, sa manière d’attachement, de « compulsion de répétition » (« comme une vague sur la mère succède à une autre vague. ») du comportement paternel, Gardons-nous d’évoquer les drames multiples dont est ponctué ce roman. Disons seulement la qualité de leur impromptue apparition.

Il n’arrive pas à déloger ces souvenirs-là. Il n’arrive pas à les chasser. Où iraient-ils ? Ils appartiennent aux ténèbres. Et lui aussi.

Peut-être est-ce du à ma sensibilité particulière mais je pense que ce récit peu s’appréhender comme la poursuite du vide intime que se sait être Oliver, lui qui se voit comme un homme qui « était construit de rien et se résumait à rien » dans lequel la tristesse n’aurait aucune place. Forbes montre aussi l’auto-appitoiment de ce sentiment de vide intestin de ce « malheureux charlatan au bout du rouleau dont la seule fonction dans la vie était de produire des faux-semblants. » Même si Edith & Oliver tient à distance ses personnages, joue parfaitement du montage entre les différentes séquences de leur existence dont la force tragique s’impose peu  à peu, Michèle Forbes y laisse apparaître une émotion fragile et préservée. Sans l’excuser, elle met en lumière l’existence des  « fugueur dissociatif » dont déjà nous parlait Élégie pour un américain de Siri Husvedt. L’autrice irlandaise y voit, à raison, un des motifs de la violence dont elle décompose l’aspect langagier ?  Un des grands personnages de ce roman reste celui d’Ana, la fille muette, réfugié dans son jardin miniature, elle subit la violence – elle seule en souligne la composante alcoolique de son père qui l’insulte pour la sortir de son silence et trouver, dans son abjection, un miroir à son propre vide

Ces mots sont des lignes de vie qu’il lance. Plus ils sont cinglants, plus ils sont acérés, mieux c’est, plus ils sont blessants, plus ils le forceront à sortir de cette spirale infernale.

Mécanique d’une violence avant tout tourner contre soi mais dont les autres souffrent. Le désespoir d’Oliver devient sans image ou plutôt il n’accepte pas d’en voir ses images corriger, échapper à cette version de faux-semblants dont il a recouvert les tragiques accidents de sa vie. À ce personnage d’Edwin, le frère d’Oliver, se révèle d’une belle complexité quand il apporte un pardon, trop tard bien sûr.



Merci aux éditions de la Table ronde pour l’envoi de ce roman

Edith & Oliver (trad : Anouk Neuhoff, 438 pages, 23 euros 50)

Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à consulter mes propres nouvelles sur cette page.

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