S’approprier la perte, retrouver l’ardente insouciance de la jeunesse, regagner l’attrait de son spectacle, s’inventer une histoire. Saltimbanques raconte la mort d’un frère, les détours d’un deuil impossible par la peine en apparence injustifiée qu’elle suscite. François Pieretti joue des flottements de son narrateur dans une fine évocation de l’absence.
Embarrassé, un peu, aux premières pages de ce roman : un rien trop d’assurance dans des formules voulues elliptiques dont pourtant l’abus de conjonction de coordination sonne redondant sinon pléonastique (sacré et inatteignable…). Réflexe un peu idiot de craindre qu’une ouverture où brille les adjectifs aux heurts non significatifs porte vers une symbolique pesante. On y échappe fort heureusement dans ce premier roman : la rédemption par les flammes est moquée, l’incarnation de ce jeune narrateur perdu dans l’insignifiance de sa vie et ses fuites ne signifie aucune stigmate sociologique du contemporain. Avouons ne s’être pourtant pas entièrement débarrassé de cette réticence primitive. Comme si la posture de l’auteur n’était pas assez assurée, frimait un peu trop , se regardait écrire. Critique inutilement acerbe, parasitée qui pis est par le biais de lecture d’un premier roman. Ça fait sévère vieux con de se dire que ce travers s’améliorera dans les livres suivants, que la sécheresse rabotera à l’os des évidences durement ressentis. Un défaut d’assiette, pour causer comme Montaigne, qui d’ailleurs s’estompe quand Saltimbanques en vient au cœur de son sujet et abandonne le ressassement de ce détestable narrateur se fuyant lui-même.
Il faudrait, pourtant, répéter les mouvements rodés avec lui, vivre les instants qu’il aurait du vivre, continuer ensemble, mais amputés, alourdis par une absence étrange et anormale.
Saltimbanques touche, je sens, sa cible quand il se plonge totalement dans la dissolution de ce groupe circassien formé autour de son frère et de sa magnétique compagne. « Leur ami était mort et leur enfance avec eux. » Toute la finesse de ce roman apparaît dans son aptitude à saisir les paliers de cette jeunesse jamais uniforme. Sans mépris, avec même un vrai regard qui ne situe ni ne généralise, François Pieretti dit la vie ordinaire dans les petites villes de province. Enchantements et rupture ; l’été du bac. L’amitié se voit du dehors, une question de jalousie. Saltimbanques en fait l’épreuve de ce que l’on a pas. Dans une belle absence de commentaire, le roman illustre la stricte tension d’appartenance par laquelle la jeunesse se reconnaît. Le drame de ceux qui restent côtoient celui de celui qui revient. Nathan le narrateur s’incorpore dans ce groupe conscient de ses frontières et de ses silences. On ne sait ce qu’il veut y retrouver. Le charme, peut-être de juvéniles expérimentations crues inconséquentes. Ou vivre la séparation de ce groupe, le dernier attachement à son frère, qui jusqu’alors ne tenait que par la présence d’aînés d’à peine quelques années. Belle présence de Bastien par son soutien mélancolique. Il reste, il admire, il aime. Lui et le narrateur deviennent des « étrangers intimes » un joli vocable pour situer ses relations instantanées d’être dans la triste beauté du sans lendemain. Saltimbanques entraîne alors son lecteur dans son jeu de scène, suite de situation dont la morale reste à déterminer.
Être la déesse des fantasmes de tant de garçons, être dénuée de toute pensée, toute logique, toute faiblesse, faiseuse d’espoir, flamme insaisissable : c’était une situation intenable et sordide.
Les bracelets d’Appoline, l’ordre que cette déesse n’apporte pas dans la vie du narrateur quand, dans une beauté sordide ipso facto intenable, il couche avec elle. Le deuil comme appropriation et redite. Une sorte de magie à l’image des tournées (se réveiller sous la tente, pellicule de sueur et gueule de bois pour le sens très sûr du détail de Pieretti) entrepris par ce petit groupe qui sait tôt se disperser. Une fuite sans motifs dont Saltimbanques sait la saveur et laisse en suspens l’interprétation comme dans les derniers épisodes de mise en ordre d’une mémoire qui se délite. Un équilibre délicat dans la conversation et le soutien, façon de tenir à distance l’émotion de ce roman à la tristesse heureusement sous-jacente.
Merci aux Éditions Viviane Hamy pour l’envoi de ce premier roman
Saltimbanques (232 pages, 18 euros)
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J’aime beaucoup ce type d’univers… finesse psychologique, ambiance intime…
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