Enthousiasme. En voilà un bien étrange sentiment à communiquer. Commençons par un certain retrait de l’image. Uniquement celle à valeur illustrative. Capter la bienveillance du lecteur seulement par les mots. Ne pas mettre de couverture pour ce billet qui vous parlera tant de la joie des livres déjà lus que de l’excitation face à ceux qui continuent à arriver.
On peut le dire, passer sur les réserves sur les bilans et leur classement, il nous semble que l’actualité éditoriale nous a apporté des rencontres. Des lectures qui soient des contacts. Effleurements d’un univers que parfois l’on pourrait presque reconnaître comme sien. N’ayons pas peur de la naïveté et traduisons in petto un sentiment de bonne santé de l’édition indépendante. Facile à dire sans doute lorsque l’on reçoit gracieusement ses titres. Espérons que la réalité économique les accompagne et leur permettent de continuer. Contentement aussi de parler de livre dont j’espère, vraiment un écho critique. Loin de la fausse modestie de prétendre (à juste titre) que ma parole ne suffise pas, continuer à croire qu’écrire ou publier un livre doit susciter un dialogue, espérer que ce partage l’emporte sur le nombre de ventes.
Avoir eu la chance de parler de quelques premiers romans, les voir tous impressionnants tant il dépasse l’ébauche d’un univers en devenir. Il me faut vous renvoyer à la lecture de La fiction ouest de Thierry Decottignies, son cauchemar concentrationnaire, sa mise en scène de nos sociétés du spectacle, de cette façon dont la mémoire de l’horreur est devenu, pour partie, un parc d’exposition, donne un livre d’une rare épaisseur. La densité de nos rêves dont les délires dérivent d’une image à l’autre, d’une réminiscence à son interprétation insuffisante.
Dans une vaine arbitrairement similaire, le premier roman de Gregory Le Floch fut un flash, un jeu sur la répétition du cauchemar, les cercles de la paroles, les détours de l’aveu. Un style surtout, longue litanie de phrases paragraphes Dans la forêt du hameau de Hardt invente des vertiges, des manières d’en dire la distanciation. Une brutalité aussi de l’explication, toujours cette impression de toucher à quelque chose d’autre.
Plutôt que de dire à nouveau tout le bien que je pense de ce roman sur plan et projection, dans les replis d’une construction de soi, dire juste un mot de la circulation de la réception de L’épaisseur du trait. L’imposteur que je suis (la conscience plutôt que devrait en avoir tous ceux qui osent causer des livres qu’ils n’ont pas écrit) s’inquiète toujours de la lecture qu’un auteur pourrait avoir de nos propres lectures. L’impression pour ce roman de m’être laisser porter sur mes propres cartographies – car c’est de moi que je parle -, peut-être d’avoir été trop loin. Content quand l’auteur him-self acquiesce à mon interprétation par la centrale, in absentia, du temps dans son livre encore une fos décisif.
Question de temps encore tant le style d’un auteur n’est, qui sait, que son propre lien au soupir, intermède et précipitation où s’appréhende une temporalité en fuite. Hors de soi propose une très belle façon de se raconter, de se projeter en autrui pour reconstruire son histoire, son identité. Premier roman d’une très grande maîtrise, il me semble avoir lu peu de roman où le jeu de dédoublement se plaçait sur le tableau de l’ambivalence sexuelle. Le changement de sexe ouvre sans doute un nouvel espace littéraire. Istambul est en tout cas magnifiquement décrit dans ce roman qui manœuvre la confusion de temps et de genre avec un vrai talent.
Délicat premier roman d’une inscription dans l’Histoire française peut-être un peu trop connue (résistance et épuration) mais dont la façon de questionner la ressemblance suffit à faire une saga familiale. La douleur et la douceur, la sureté du trait, la façon dont il nous faudrait reconsidérer nos souvenirs, font de Un cadenas sur le cœur une lecture aigre-douce qui reste comme un dessin de Sempé.
Si l’écriture de ce premier roman a suscité de vagues (sans doute inconsidérées) réticences, il faut souligner à quel point Saltimbanques est un portrait réussi, pas trop appuyé, de la jeunesse, de son passage et de la conscience des seuils. Un roman de deuil sans doute aussi, de possibilité de reconstruction dans la perte. Une sorte de flottement lumineux dans sa lecture, une science des scènes déjà assurée. Capacité à rendre compte du détail et des rencontres.
Parole prise en défaut, insuffisante. Peut-on épuiser des carnets en une seule lecture. Ceux de Goliarda Sapienza portent leur propre lumière, un regard sans concession, une vision sur la politique, la place de la femme, façon surtout de mener sa vie. Lu sur ma propre île, ses Carnets à découvrir de toute urgence me laisse le souvenir du ventre de la baleine d’un endroit à soi, un lieu secret où se retirer pour affronter le vide de la vie. Gardons-nous en d’en dire plus.
On parlait de l’espoir de la bonne santé de l’édition indépendante. Aimer aussi qu’elle produise ce qui sera, je l’espère, un succès de librairie. Un roman populaire ambitieux, politique, avec un vrai rapport au temps et un questionnement sur les différentes formes de maternité véritablement captivant. Lisez Né d’aucune femme
Du très bon polar aussi, des présences plus confirmées comme celle de Victor del Arbol qui ne craint pas la complexité narrative dans son très bon Par delà de la pluie. La mémoire et son vide, la perte, la nostalgie et ses excuses. Le magicien peut sembler jouer un peu trop de cette complexité, la rendre un peu artificielle mais dans un roman constamment plaisant, lumineux sur le contexte historique, cette histoire de l’Allemagne de l’Ouest retrouvé avec grand plaisir tant dans Retour à Budapest que dans L’ombre d’un père, deux romans d’une très belle construction comme l’est d’ailleurs Olga de Bernard Schlink pour poursuivre sur ce motif alimentant structurant, pas tout à fait à mon insu, mes lectures. Pour revenir sur un thème qui m’est cher un mot sur le très amusant et profond La capitale de Robert Ménasse : le centre de l’Europe, son point d’achoppement reste Austchwitz, le souvenir des survivants et l’incapacité à en faire bonne mesure, l’essence même de la parole littéraire.
Disons pour finir sur le polar, le vrai plaisir de retrouver Hervé Le Corre dans un de ses grands romans, engagé, en colère, très écrit, précipitez-vous sur Dans l’ombre du brasier.Un mot aussi sur Nourris un corbeau, il te crèvera les yeux : le plaisir de s’absorber pour quelques heures dans un livre solide et au dépaysement intéressant.
Très belle découverte, in fine, de Michèle Forbes. Une capacité à saisir des instants, des existences dans le magnifique de leur ordinaire merveilleux. Phalène fantôme est une merveille de délicatesse qui évoque Un cadenas sur le cœur. Édith & Oliver, plus âpre, est un roman sur le ratage, la magie de l’ambition, le vide en soi. Une très belle romancière.
Le plus important, à mes yeux, est de vous confier mon envie de me plonger dans les livres à paraître maintenant. Un programme très alléchant avec du James Salis (niveau polar on ne fait pas mieux), du Jason Hrivnak le très bon Le chant de la mutilation (niveau épreuve et horreur on ne fait pas mieux). On vous parlera de kaballe et de golem avec Des voix de Manuel Candré (avis par avance très favorable et c’est chez Quidam en plus et c’est mieux que ça encore), de Curzio Malaparte, du Brésil à travers un regard italien dans Au pays qui te ressemble de Lisa Gunzurg, d’Argentine et d’expérimentation littéraire dans Liberté totale de Pablo Katchadjian, de Gorki dans Diavolina de Gyorgi Spiro, du Vietnam dans Le cri de l’aurore de Hoai Huong Nguyen. Peut-être même qu’on en finira, momentanément, avec l’Allemagne et ses douteuses réunifications avec Terminus Berlin de Edgar Hilsentrath. Gardons l’enthousiasme.
Servons-nous en pour préciser à nouveau la méthode. Une approche des romans placé sous le signe de l’écriture, une sorte de laboratoire oserais-je dire sans crainte de la prétention. On pourrait alors retenter une approche par intuition des lectures à venir. Une façon de conserver, j’espère, l’aspect intuitif d’une prose qui se veut par court-circuit, raccourci, en rhizomes de liens hypertextes. Un exemple vaut sans doute mieux que cette prétention de principe. Lire dans L’ombre d’un père un séjour à l’hôtel Gellert, le décor principal des belles remémorations de Retour à Budapest de Gregor Sander. So what ? Rien. Continuer à ouvrir des pistes, revenir sur celles déjà aperçu. Ne pas tenter un serrement systémique sans pour autant céder au fragment, à son aspect inachevé. Plutôt par strates et par images, souvenir et citation.
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Enthousiasme partagé ! Seul problème, votre billet est frustrant : tant de belles choses à lire et si peu de temps… Mais, promis, je m’y colle bientôt pour la « Fiction Ouest » et « Né d’aucune femme »…
Littérairement,
L’Espadon
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Aucune urgence à lire tous ces livres. Espérons qu’ils restent encore un moment en librairie. J’ai vu votre enthousiasme pour Dans la forêt du hameau de Hardt, un livre dont il faut parler.
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Comme d’hab, un très bon carnet de lecture 😉
Ca m’avait manqué, tiens ! Une belle rétrospective de tes lectures.
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Merci beaucoup. Voilà un moment que je tournais autour de l’idée et que je la repoussais, par paresse sans doute.
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Ton article est superbe, passionnant car donnant de nombreuses pistes de lecture. J’aime beaucoup la façon dont tu l’as écris, c’est délicat.
Je suis très intéressée par « Hors de soi » qui m’a l’air d’aborder des sujets tout à fait intéressants et hautement actuels. J’ai lu « Né d’aucune femme » est j’ai été tellement bouleversée, je pense que c’est devenu mon livre préféré. Je l’ai dévoré en moins de vingt-quatre heures. Hier il y avait une rencontre avec l’auteur dans ma ville, j’ai eu une superbe dédicace. Je ferai un article sur ce livre, lorsque j’aurai digéré ma lecture, je suis incapable d’écrire dessus pour le moment.
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Merci beaucoup. Le livre de Franck Bouysse est une vraie belle lecture. Je lirai avec plaisir ton article.
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