Nos vies d’après Thomas Pierce

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La palpitation de la mort, deuil et mémoire, projection et hologrammes de nos disparus, satire grinçante de nos peurs et de notre aveuglante confiance dans un progrès au matérialisme d’un optimisme béat, Nos vies d’après offre une vision de la reconfiguration de nos souvenirs et de nos identités. Thomas Pierce, pour son premier roman, sait aussi en faire un récit de fantômes, une projection dont l’ambiguïté, le caractère littéraire, frappe.

On pourrait commencer par un creux. Une certaine distance au personnage qui nous a semblé envisagé de loin, objet et vecteur d’une satire sociale. Jim Byrd incarne dans l’esprit du romancier cette normalité inquiète, cette banalité sociologique d’un métier au crédit détestable : banquier. Thomas Pierce a choisi  ce métier peu ragoutant probablement pour donner à voir une demande de sens, une quête un peu barré d’une spiritualité loufoque dont Nos vies d’après offre une caricature informée. Avant d’être happer par l’ampleur de son projet, les différents visages qu’il parvient à donner à cette plongée dans les souvenirs (la prise de parole fantastique car peu située des différents membres de la famille Lennox est, dans sa linéarité brisée une belle réussite), la platitude du style induit par un tel point de vue embarrasse. Une condescendance tout à fait hors de propos de penser déceler ici un défaut d’assise comme dans Saltimbanques le premier roman de François Pierreti. Nos vies d’après est pourtant à mon sens parasité par des jugements normatifs, une psychologie pragmatique toujours socialisée et matérialisée au sens où elle se croit certaine de ses jugements. Néanmoins, cette simplicité, de par sa rapidité, est sans doute indispensable pour ne pas égarer le lecteur dans cette jolie impression de s’égarer dans le rêve de quelqu’un d’autre, dans une déperdition d’énergie qui créent une « abondance de réalité. Des couches de réalités, superposées, qui s’annulent. »

La technologie – la chose même qui nous avait rendu insensibles aux mystères de l’univers – était peut-être la seule chose encore capable de nous sortir de notre torpeur.

On peut de fait en partie comprendre Nos vies d’après comme un roman de science-fiction. Une projection dans un avenir aux allures d’hologrammes qui donnent au récit toute son incertitude. Jim Byrd, condition première d’une certaine littérature, se présente comme un survivant. Un fantôme peut-être déjà et c’est-là la belle idée de Thomas Pierce : n’importe quel narrateur romanesque porte sur ses aventures un regard d’outre-tombe. La première piste de lecture de ce livre en forme d’escalier en spirale, avec différents niveaux de lectures donc, est celle d’une expérience de mort imminente dont Jim Byrd veut revivre ce moment de mort clinique, en inventer qui sait des images. Avouons avoir été un peu moins convaincu par son histoire d’un cœur mise en réseau (métaphore de la littérature ?), surveillé sur son téléphone et donc susceptible d’être piraté. Une certaine impression de déjà-lu qui, dans cette très belle reconfiguration de la conception de nos souvenirs à la lumière de la physique quantique (saluons la façon dont l’auteur sait ne pas s’embarrasser d’explications technologiques pour se centrer sur le fond philosophique de cette abolition du temps linéaire tel que nous continuons à le concevoir), est au cœur du propos. Nos souvenirs, la façon de les actualiser en prétendant ainsi parler avec les morts serait, selon les mots de l’auteur, réels mais aussi d’une certaine manière arrangée, prédéterminée « comme un livre qu’on a déjà lu. » Nos vies d’après,  pour ne pas nous égarer dans ses délires technologiques, joue de cette impression de familiarité pour en décaler les perceptions; Sans doute est-ce à cela que sert l’invasion de nos sociétés (envahie et c’est bien vu par les cheveux blancs) des hologrammes. Autant de projections utilitaires, autant de caricature de cette fumisterie de transhumanisme. Surgeons superfétatoire d’une religiosité confuse, inquiète dont Thomas Pierce décrit les formes risibles et compréhensibles de cette société non tant en déréliction qu’en absence, je crois, d’elle-même.

Constamment, je pensais aux particules marguerites, à un univers qui n’existait que partiellement. Était-il réellement possible qu’une chose existe davantage qu’une autre ?

Je ne tenterais pas de vous expliquer la théorie foutraque, trop invraisemblable pour ne pas contenir un fond de vérité, des marguerites et de la machine à réunir inventer par ce roman de savant fou. Disons seulement ceci, il s’agirait de mourir un peu pour communiquer avec les morts, de perdre sa conscience du temps pour arriver à un voyage dans le temps. Celui de Jim Byrd entre conséquence d’une intrusion dans le passé et vision de son avenir reste une admirable interrogation sur les pouvoirs de la littérature. Avouons pourtant avoir été plus emporté par la forme plus entendue, une respiration dans le récit dont on met un moment à saisir la provenance – par le récit de la famille Lennox. Des souvenirs plus incarnés, un rien plus sensuels. Une vraie curiosité par ce thème si américain (si joliment traité par  Richard Russo dans Le déclin de l’empire Whithing ) des frères antagonistes (réussite matérielle, contre torture mentale) qui structure le récit. Entre le père et l’oncle du narrateur, entre le mari mort de sa future femme et son frère, le thème s’impose comme un souvenir, une déclinaison littéraire dans ce premier roman plaisant.



Merci aux éditions Denoël pour cet envoi

Nos vies d’après (trad : Héloïse Esquié, 458 page, 23 euros 90)

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