Suites de séquences d’une musicale irréalité, de fêtes aux dialogues abscons avec des célébrités interchangeables, La ferme des mastodontes invite surtout à l’imaginaire et à l’interprétation. Dans son premier roman Mike Kleine parvient à maintenir l’ambiguïté: satire ou pastiche, inconséquence ou logique qui échappe, provocation ou foutage de gueule. Un peu de tout ceci, tableau troublant de nos inconsistants inconscients.
Avouons n’avoir pas été depuis longtemps aussi déstabilisé par un roman. Rarement, avant de me lancer je n’ai autant peu su ce qu’il conviendrait de penser d’un livre. Loin d’être mauvais signe. La ferme des Mastodontes éloigne des préjugés. Je ne saurais dire que j’ai aimé ce livre. Pourtant, je peux affirmer avoir goûté qu’il m’ait contraint à m’extraire de cet affect primaire. Très vite le lecteur croit comprendre le dispositif (dans son sens d’une installation artistique) au cœur du propos de Mike Kleine. Des résonnances littéraire, laissent entendre un pastiche distancié. Omniprésence de Breat Easton Ellis par un épuisement de la réalité matérielle par des listes et des focalisations sur le détail chic (le costume Armani) censé singulariser cette richesse sans nom ni âme (peut-être). Une association d’idée pourtant un rien automatique. Pour faire preuve de ce snobisme dont se nourrit la critique (expliquer toujours par une référence moins évidente), il me semble que La ferme des Mastodontes fasse davantage référence à Moins que zéro qu’à American Psycho. Le roman de Mike Kleine représente la disparition, son souci de l’image s’explique par cette crainte. Pour continuer d’approcher ce roman insaisissable, on pourrait éclairer la singularité de son effacement narratif par une référence à L’homme qui dort de Georges Perec. Le narrateur de ce roman à l’époque aussi incertaine (il loue des VHS et pourtant parle d’étoiles contemporaines) que son lieu (entre New-York et Los-Angeles), tente de se cerner à la seconde personne du singulier.
Peu importe si leurs actions n’ont aucun sens. Tous les personnages existent, à leur façon, pour fonctionner à l’intérieur de l’univers dans lequel ils ont été crées. Ils font leurs propres choix. C’est notre travail d’essayer de comprendre ce qu’ils veulent dire ou ne pas dire.
Mais, quand on croit réduire La ferme des Mastodontes sa satire montre toute sa finesse : comme s’il n’était pas interdit de penser que son absurdité soit simultanément une arnaque. Le roman nous raconte des scènes : tu prends ta voiture, tu va voir Joan Didion, des masques africains sont tombés, des livres le sont, tu veux que tout redevienne comme avant, en ordre. On peut deviner échos et correspondances entre certaines séquences. On pourrait (et toute la beauté de ce roman tient à cette question : mais le faut-il ?) en interpréter plusieurs comme une représentation de l’art contemporain. Une représentation mercantile de notre affairement dans un matérialisme irréel. Tu achètes un tableau, tu regardes tes amis parler de ceux qui en achètent : tu espères un sens. Tu te noies surtout dans une nappe sonore comme si l’essentiel était de nommer la musique censée accompagner chaque instant de ta vie, traduire surtout les émotions que tu ne parviens plus à situer sinon dans cette référence commune et chic. Mike Kleine parvient d’ailleurs à se moquer de cette culture branchée en l’interprétant (comme le passage obligé d’une rencontre amoureuse effleurée) comme de l’Ivy League Music, « une musique qui séduit majoritairement les foules des jeunes intellectuels et de brillants chercheurs. » Toute ressemblance avec La ferme des Mastodontes ne serait évidemment par fortuite. Le roman offre en effet ce qu’il convient d’appropriation de la culture pop pour offrir une représentation lisse, chatoyante, du contemporain, un reflet où mirer n’importe quelle interprétation. Le titre du livre, en référence à un film de zombies que tu regardes peut aussi s’entendre comme une représentation d’un récit post-apocalyptique après tout si (seul?) apte à rendre notre époque. Toujours cependant avec un certain décalage puisque au fond la seule bande son de ce roman serait -silence inspiré – du Philip Glass.
Reste une interprétation tenace : une volonté commune de voir nos vies comme un film. La ferme des Mastodontes serait alors, dans la science de son écriture blanche, atonale et donc pleins d’expressifs silence, une façon d’affirmer la prééminence malgré tout de la parole littéraire. Celle qui est capable d’ajouter : à moins que je n’ai rien compris.
Un grand merci aux éditions de l’Ogre pour l’envoi de ce roman
La ferme des Mastodontes (trd : Quentin Leclerc, 138 pages, 18 euros)
Même impression, pas sûr d’avoir bien tout compris (satire ou pastiche ?) et c’est là tout l’intérêt, un texte qui n’offre pas (ou peu) de prise à mon sens. Bel article, qui éclaire encore ma lecture, merci !
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