Le Havre, 1976, fin de règne, la French Connection, la seconde guerre mondiale et sa mafia corse. Avec un humour décapant, une connaissance profonde du terrain loin d’être réduit au rang de décor, une empathie profonde pour sa population (la résistance frondeuse des typographes), Philippe Huet emporte par la précision rieuse et rythmée de sa prose. Une année de cendres se révèle un, polar classique, tenu.
Dans son obstination à perdurer comme un mauvais genre, à assumer la distraction offerte par le roman, le polar fait le boulot. À ce titre, il poursuit une tradition populaire non seulement en s’intéressant aux humbles, en cartographiant les strates sociales de son décor, mais aussi par un souci du travail bien fait. Nous entrons ainsi dans le cœur de Une année de cendres : sa forme illustre la querelle des Anciens et des Modernes qui sert de trame à l’intrigue. Philippe Huet adopte une tonalité souvent informative, quasi journalistique pour ne rien nous laisser ignorer du contexte de son intrigue parfaitement planté par, comme il le dit de son héros journaliste, « un sens inné du récit et de l’écriture imagée, claire et fluide. » On pourrait regretter l’usage de la note de bas de pages quand elles apportent des précisions pas franchement indispensables ou un rien trop didactique par une sorte de non distanciation au réel historique. Et pourtant, charme puissant avec lequel l’auteur nous donne un vestige du Havre dans l’immédiat après-guerre. On s’en voudrait d’évoquer ici le Leiris de « De la littérature considérée comme une tauromachie » pour qui le Havre, connu avec Queneau durant les années folles, est décrit, après ses bombardements, comme la rage de dents de parler de soi face à une ville aussi dévastée. Une année de cendres fait apparaître le souvenir dans le contraste, la ville du Havre dans ses basculements. Entre 1946 et 1976, la reconstruction perdure, la modernité s’annonce par les portes containers. Notons aussi qu’Une année de cendres nous fait entrer de plain-pied dans la guerre du Liban et dans les arrangements que l’état français a su y trouver.
Il n’y a rien de pire que les ploucs quand ils se prennent pour des aventuriers.
Rien de plus jouissif non plus que la fatalité et ses résistances quand une équipe de bras-cassés s’empare d’un magot censé régler une rivalité entre deux bandes ennemis. Avec une profonde empathie, Philippe Huet plonge dans la vie de Nanard, ouvrier du livre, typographe Instantanées de la vie populaire parfaitement réussis qui font basculer le récit dans un humour dont la noirceur se dévoile peu à peu comme moteur d’une intrigue au dénouement d’un lucide pessimisme. Police et journalisme, main dans la main avec les arrangements d’État, forment une mafia à peine moins criminelle que celle corse. L’occasion de souligner à quel point l’intrigue permet à Philippe Huet de se moquer du pittoresque de cartes postales : la poésie industrielle des installations portuaires du Havre se retrouve renvoyer à l’image faussé de la vendetta corse.
Un grand merci aux Éditions Rivages Noir pour l’envoi de ce livre.
Une année de cendres (347 pages, 20 euros)