Archives du vent Pierre Cendors

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Quel est cet autre qui écrit ? Dans une charade métaphysique virevoltante, dans un vertige de dédoublements, de projections, de confusions, rêves et prémonitions, Pierre Cendors poursuit l’autre réel mise en ombre dans chacun de ses livres. Archives du vent, dans son vibrant hommage au cinéma, rend visible l’invisible, la solitude et ses solipsismes, la permanence des révoltes adolescentes, l’horreur de la réalité. Un très grand livre empli de revenants et d’images rémanentes.

À l’image de Silens Moons dont Archives du vent est comme un faux jumeau. On y ressent le même travail préparatoire par absorption, jusqu’à se confondre avec lui, à son sujet. Aucunement un travail documentaire (encore que) mais bel et bien une appropriation des codes et langages du milieu dans lequel Pierre Cendors nous plonge. Archives du vent fait défiler toute une cinéphilie non tant savante que sensitive, de celle qui vous invite à vivre davantage, avec plus d’acuité et de couleur. Désolé pour la pédanterie mais tentons d’éclairer quelques références. La plus envahissante a été pour moi la voix de Jean-Luc Godard dans Histoire (s) du cinéma. Histoire avec un S, histoire avec des SS comme il le propose dans son emprunt d’images, détournement et appropriation. L’ombre de la déportation, que Godard décide point aveugle du cinéma, revient aussi dans Archives du vent par la persécution d’artistes juives, par la fascination de leur visage enfui. Un dernier calembour, risible et révélateur, de Godard offre un éclairage à  Archives du vent : les frères Lumière ont inventé le cinéma parce qu’il faut être deux pour faire du cinéma. Passons sous silence, le rôle de la fraternité dans Archives du vent. Laissons au lecteur le plaisir de s’égarer dans les visages fraternels de chacun des personnages de ce roman plein de rebondissements existentiels. Toujours pas si loin de Godard et sa volonté de dresser une histoire des films qui ne se sont pas fait, soulignons que ce « portrait imaginaire d’un homme qui a réellement existé », cette « formule talismanique pour sortir du monde sans en sortir, un blanc chamanique de la parole » verse à l’occasion dans le dispositif. On pourrait, à lire trop vite cette incursion instinctive dans « un moi qui n’était pas moi : personne », pratiquement se lasser de ce méli-mélo entre rêve et réalité, scénario et projection, prémonition et mise en récit de ce qu’il se serait passé. Une histoire écrite par des ombres

Quant aux autres, les invisibles, les morts, les ensevelis : ce sont eux qui l’ont écrite, leur disparition n’a laissé aucun vide.

Mais ce serait sans compter sur la science de l’image de Pierre Cendors, son aptitude magique à convoquer des visages en tant que totalité du réel. Dans sa distribution de cette  « novélisation de cette œuvre cinématographique » (le lecteur attentif -maniaque – retrouvera toutes les mises en abyme contenues dans cette citation) , Pierre Cendors impose Guillaume Depardieu dans le rôle central de Erl Solness. Incarnation possible de cette jeunesse dégingandée, maladroite et magnifique, qui grandit à l’ombre ogresse du père. Le visage de Depardieu fils m’est continûment apparût. Celui dont Léos Carax a su capter, dans l’insurpassable Pola X, les exaltations, cette force romantique de refus et de silence propre à tous les personnages de Pierre Cendors. L’habitude, dans cette déception que serait la vie réelle, de se promener avec un flingue également… Citons aussi, pour rester dans ce nord magnétique et solitaire où se concentre l’action du roman, la très belle allusion d’Archives du vent au non moins magnifique Oslo 31 août pour souligner que ces deux œuvres sont l’adaptation cinématographique respectivement de Pierre ou les ambiguïtés de Melville et du Feu Follet de Drieu la Rochelle. Les mots dans l’ombre de l’image, dans les surplis du silence. Le sens de la formule de l’écriture de Cendors (raison à elle seule de lire ses livres) se concentre d’ailleurs sur la qualification des regards comme une prémonition de ce qui va se passer, de l’incertitude que les choses aient pu se passer autrement.

Novæ Terra, c’est-à-dire un espace ouvert, un espace, si tu veux, constamment relié aux commencements. Un autre réel.

Chez Cendors on navigue, à vue donc, dans une inquiétante étrangeté. Les mots manquent pour la cerner, seul le silence comme le suggère Silens Moon serait à même de donner une projection de cette « vacuité extatique», cette « exigence intérieure qu’on ne peut ni expliquer ni raisonner, seulement épouser de tout son être. » où brille seulement, par instants désespérés, « l’éclat d’une intelligence qui n’avait jamais toléré l’inhumanité de vivre enfermé dans l’opacité d’une conscience humaine. » Même si le mot est défaillant, il faudrait l’entendre dans son sens allemand (le thème du double vient en droite ligne d’Hoffman et de Jean-Paul ? ; Cendors renvoie toujours à une autre filiation),  on peut parler de romantisme pour l’œuvre de Cendors. D’emblée par un rejet de la « réalité, la vie, le monde – la feinte trinité – tout ce jargon tiré, dirait-on, d’une notice sur les effets secondaires d’un anti-dépresseur. »

toute cette frénésie pour pouvoir s’offrir quoi au juste ? Une cage dorée pour pouvoir piauler peinard sur sa balançoire.

Plus profondément, à rebours de l’image dirons-nous, Archives du vent brille de sa temporalité particulière. Pierre Cendors nous offre une très belle doublure du démodé : par l’invention d’un procédé cinématographique proche des hologrammes, Hitler devient l’incarnation même de la sensibilité allemande et notre présent un passé vu du futur. Romantique par apparence ou plutôt par une revendication dont Cendors n’élude pas les apories. On porte haut l’exigence d’une solitude essentielle mais de celle qui permettrait « d’éterniser en vous l’évanescence de toutes choses savoureuses, simples et belles. » Une solitude qui permettrait de toucher à un autre réel, comprendre celui qui ouvrirait à l’autre en soi, à « l’ombre du double ». Archives du vent n’est alors aucunement une œuvre solitaire : hargne, ressentiment et ressassement ne sont pas son affaire. Pour Cendors, la solitude – et il est une grandeur à cette idée que j’aimerai voir préserver – est de dire Je avec autorité et de croire ce que l’on  dit, d’être enfermé dans la sécurité de ses pensées. Revenir, commencement et achèvement, au « bond animal du réel » à l’ «avarie subreptice dans le réseau fermé du quotidien. »

J’étais un coupable qui, paradoxalement, n’a rien à se reprocher. Il n’y avait là, au fond, rien d’exceptionnel. Tout le monde dispose d’un alibi identique.

La jeunesse qui s’enfuit sans bruit, l’altération de ses enthousiasmes qu’il faudrait, à ce qu’on dit, appeler maturité, là encore Cendors touche juste. Comme dans les films qu’il décrit, comme dans cette culpabilité universelle que serait l’art ou ses alibis, il faut souligner la persistante ténacité des sentiments mis à jour. Pour ne donner qu’une formule par laquelle Archives du vent fait résonner les silences du passage à l’âge adulte, citons ceci : « cette fainéantise fastidieuse et pour finir hébétante propre aux adolescents. » pour dire à quel point Cendors parvient à capturer un certain contemporain. Au-delà de cet anecdotique, de cette chair malgré tout donner à ses nombreux dédoublements, le plus passionnant dans ce grand roman reste sa réflexion sur l’emprunt, usurpation et phagocytage, à la base de toutes créations artistiques. De quoi un écrivain, peut-être plus encore un cinéaste (même si Cendors ne s’arrête pas sur la nombreuse équipe de cette création collective) est-il vraiment l’auteur. Notamment par une très belle référence à Daumal, Cendors présente la poésie comme une prophétie, statue cassée d’un oracle, une absence d’auteur, une intuition à laquelle Archives du vent donne un image.



Un grand merci aux éditions du Tripode pour l’envoi de ce roman

Archives du vent (290 pages, 12 euros)

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