Kintu Jennifer Nansubuga Makumbi

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De la gémellité magique à une malédiction héréditaire. Avec une variation rythmée de point de vue, Kintu nous conte le devenir d’un clan, différents aspects de la vie contemporaine en Ouganda, sous l’angle d’une malédiction sur laquelle Jennifer Nanubuga Makumbi laisse toujours planer le doute. Kintu offre alors une fine réflexion sur les récits qui nous constitue.

On pourrait commencer par une très légère réticence. Après s’être ouvert sur le récit d’un meurtre absurde, dont on comprends plus tard qu’il offre présage et exutoire à la malédiction, Jennifer Nansubuga Makumbi nous plonge aux origines de cette malédiction gémellaire servant de trame au roman. La partie sur le grand ancêtre, le Kintu éponyme, ne m’a pas entièrement satisfait. Sans doute à cause d’anachronisme sémantique auquel échappe rarement la reconstitution historique. Nous voilà dans la province du Buddu, en Buganda en 1750. L’autrice a la bonne idée de ne jamais lourdement présenter le contexte, de le laisser découvrir au lecture au fil de la découverte de son intrigue. On reste cependant frappé par l’emploi, dans la conscience d’un homme de 1750, de termes comme asexuels ou d’une insistance sur les, pour ainsi dire, pesantes obligations de la virilité. Suis-je le seul à y voir un anachronisme ?

Quelle que soit la façon dont il regardait les choses, la vie était tragique.

Néanmoins, ce livre premier qui raconte les aventures de Kintu pose les structures assez passionnantes de ce récit qui oscille constamment entre l’exploration d’une tradition et une incrédulité dite moderne dans sa volonté de s’émanciper de l’emprise du discours. Avec une indéniable finesse, Jennifer Nansubuga Makumbi introduit la présence magique du jumeau comme celle d’un double hostile. Une question de nom transmise telle une malédiction où s’interroge le consentement de ceux qui la subissent. Kintu décrit un jeu de substitution, de paternité usurpée, dont la littérature s’est fait une grande spécialité. Nnakato est la première épouse de Kintu, stérile sa jumelle Babirye donne des enfants au patriarche. Le seul enfant de Nnakato et Kintu sera le seul sans jumeau, il s’en inventera un, un étranger comme dans tout récit magique. Kintu, par maladresse, le tue et sera hanté par son fantôme. La malédiction est en place et l’autrice s’en empare pour joindre des destins disjoints. Le roman devient alors passionnant dans le visage tourmenté d’un pays qu’il donne à travers tous ses lointains descendants de Kintu.

Il était intéressant d’écouter des membres de sa famille exposer avec fierté leurs désordres mentaux et autres problèmes comme s’il s’agissait d’un badge confirmant que Kintu était bien leur ancêtre.

Kintu reprend la même structure pour chacun des livres, portant tous sur un descendant. Loin du dispositif, commencer à la morgue (puisque toute magie repose sur la reconnaissance des morts, l’invention d’un rituel pour effacer leur présence et non leur mémoire) et finit sur une lettre qui annonce le rassemblement, lentement dessinée comme possibilité de rompre la malédiction. Jennifer Nansubuga Makambi parvient, en dépit d’une grande noirceur de son récit, à éviter le misérabilisme de la situation des différents personnages. Sans doute grâce aux pressages d’une magie à laquelle les personnages peinent autant à croire qu’à se détacher. La posture de l’autrice sur cette question reste assez admirable : la magie devient sous sa plume un attachement à un passé irrésolu, voire le surgissement de traumatisme inavoués. Parce qu’elle porte le nom des jumelles ancestrales, Suubi Nnakato est hantée par sa jumelle. Kintu s’empare alors du thème des jumeaux avec une certaine finesse. On peut certes un peu regretter que Ruth et Job (joli prétexte pour une analyse de l’emprise des sectes chrétiennes sur le pays) soient en charge d’incarner la tentation incestueuse présente, par définition, dans ce thème.

il aurait adoré que les habitants réfléchissent à sa théorie doctorale selon laquelle le meurtre religieux est présenté soit de façon créative comme un sacrifice, soit, avec une certaine volonté de manipulation, comme un châtiment.

Toujours jusqu’alors sous-jacente (presque en opposition avec ce matérialisme vénal qui anime tous les personnages quasi comme un trait distinctif du pays), la magie devient un rituel explicite. Religieux au sens où il réunit et permet (impose ?) de se souvenir. Assez longuement, le lecteur se demande si le récit ne va se clore sur l’inachèvement. Chacun des descendants reçoit la lettre, ou la visite, pour réunir le clan. Le roman aurait pu s’achever sur ce suspens. Jennifer Nansubuga Makumbu a la bonne idée de rassembler tous ses personnages, d’alterner leur point de vue et leur incompréhension participative à cette épreuve de la magie. Son récit parvient à ne pas prendre position sur la réalité de ce qui se passe, de ses sacrifices symboliques par laquelle sont mis en récit une délivrance possible des ebyekika, les maux du clan. Elle insiste plutôt sur le fait que tout reste à faire. La rédemption, à l’image du roman, ne sera pas sans douleur, sans une forme non plus de sombre beauté. Kintu se révèle alors comme cet enchantement, toujours mystérieux, toujours captivant dans son aisance à nous rendre familier, tout en restant un peu flottante, la réalité d’un pays, l’Ouganda, dont je ne savais moins que rien.



Un grand merci aux éditions Métailié pour l’envoi de ce roman à paraître le 22 août 19

Kintu (trad : Céline Schwaller, 467 pages, 22 euros)

 

 

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