Le terroriste joyeux Rui Zink

terroriste

De la puissance du langage par son absurdité, par sa drôlerie provocante et les sourdes angoisses ainsi révélées. Le terroriste joyeux comme Le virus de l’écriture, le court texte qui le suit, jouent sur une identification entre personnage, lecteur et auteur. Dans une prose virtuose, jamais aussi drôle que lorsqu’elle trahit nos peurs et nos égoïsmes (la société totalitaire du Terroriste joyeux qui crée ses utiles opposants ou la lente disparition des lecteurs dans Le virus de l’écriture), ces deux cours textes suscitent la réflexion lucide, sans solution, des cauchemars.

Le terroriste joyeux pourrait un apologue terrifiant de notre époque. Sous le masque à plusieurs niveaux d’interprétation, Rui Zink l’énonce ainsi. Le XXI siècle sera le siècle du terrorisme, il ne nous resterait alors qu’à être des terroristes joyeux. En dépit de son pessimisme, les deux textes de ce livre affirment ceci : les seules bombes qu’il nous resterait alors (à transporter plutôt qu’à poser comme l’accusé du Terroriste joyeux) restent les livres tant que des lecteurs subsistent. Seule le récit, dans sa pluralité de forme (Le terroriste joyeux est un dialogue entre deux personnages sans nom qui m’évoque Liberté totale de Pablo Katchadjian), pourra nous donner une image du cauchemar de notre moment historique, le faire avec l’élégance de l’humour. Rui Zink imagine une situation simple, basée sur un jeu de mots tant leur poids est l’enjeu essentiel de ce récit, un homme est accusé d’avoir introduit dans un pays innomé. Le terroriste joyeux joue alors sur les attentes du lecteur: l’homme admet d’emblée mais trouve sans cesse d’autres mots pour dire ce qu’il se refuse à être de la culpabilité. Il aurait admis être ici pour faire du terrorisme, pas de sa faute si le douanier a, par habitude, entendu tourisme. Il s’autorise alors à croire que le terrorisme serait socialement accepté. La grande intelligence de ce récit est de présenter toutes ces réponses comme de pures arguties sans jamais en dénuer l’absurde pertinence. Ainsi, la réflexion sur la représentation politique porte celle sur notre identification : à partir de quel instant un homme peut-il être entièrement représenté par le terme terroriste. Surtout, quand, comme ici, son acte de terrorisme reste une virtualité. Porter une bombe n’est, en droit, pas la déclencher.

Contester n’est pas contourner. Contester, c’est converser. Le problème est que trop de gens souhaitent moins converser que convertir. Nous n’avons pas à coïncider les uns avec les autres.

L’important dans Le terroriste joyeux (comment peut-il en être autrement dans un roman), ce sont les noms, la logique propre qu’il impose à cette réflexion sur la constitution d’un personnage. Saluons au passage le travail de Maïra Muchnik qui a su rendre la transparence piégeuse de la langue de Rui Zink. Deux personnages s’affrontent, tous les deux sont donc prisonniers de leur représentation. Les rôles bien sûr s’inversent. Le bourreau, à force de chercher des motivations à un acte pas véritablement commis, devient à son tour accusé. Les deux personnages se font passer pour morts, deviennent des fantômes pour ne pas dire des consciences obsédantes. Le lecteur, lui, est pris au jeu. Il doit bien admettre, je crois, ne plus très bien savoir ce qu’il doit penser de cette farce.

Cette contamination du propos (la seule valeur d’un texte étant sans doute de parvenir à nous faire croire à un autre point de vue), cette remise en cause des représentations de la culpabilité est également au centre du Virus de l’écriture. Là encore, Rui Zink s’élance d’une représentation préconçue. On connaît l’antienne : il y aurait plus de gens qui écrivent que de gens qui lisent. L’auteur imagine un monde au bord de la catastrophe quand tout le monde s’y serait mis à écrire, pis à pondre des textes d’une grande qualité. Comme dans Le terroriste joyeux, il joue sur notre frustration et ne pousse pas plus loin sa réflexion. Autre chose l’intéresse. Le narrateur du Virus de l’écriture se prétend immunisé et s’exprime pourtant à l’écrit, fait un portrait dithyrambique du lecteur parfait qu’il n’est plus tout à fait. Nous n’aurons pas de morale, sans doute est-ce mieux ainsi.



Un grand merci aux éditions Agullo pour l’envoi de ce livre à paraître le 22 août

Le terroriste joyeux suivi du Virus de l’écriture (trad : Maïra Muchnik, 112 pages, 14 euros 90)

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