De pierre et d’os Bérengère Cournut

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Des visions et leurs chants, les saisons et leur fuite, les errances d’une femme dans la société inuit dont Bérengère Cournut capture enchantements, pensée magique et l’âpreté. Sous ses allures de conte, sous une plume où le merveilleux et le tragique sont toujours à hauteur de femme, De pierre et d’os dessine un récit d’initiation où poésie et prise de langue offrent une autre appréhension du monde.

La qualité première de ce roman au charme doucereux reste son rapport à la langue, disons cette résistance à l’appropriation de l’objet que Bérengère Cournut ne traite pas mais invente. La grâce de De pierre et d’os est alors d’effacer le travail sur la matière première (le vocabulaire en tant que reflet d’une autre culture mais aussi sa possibilité de dire un environnement dépaysant). Une errance chez les inuits sous les yeux d’une jeune fille, sans regard qui commente et surplombe. De courts fragments, autant d’ellipses, des scènes de survies, plus rarement d’apaisement, pour donner à voir la conscience flottante d’un individu dans cette société inuit si séduisante. Toujours simple, en tension par un monologue intérieur qui ne saurait faire taire la constante menace extérieure, la façon dont Uqsuralik s’adresse à nous sait intégrer non tant un vocabulaire aux charmes idiots de l’exotisme mais les notions qu’il recouvre. Un seul exemple pour laisser entendre cette autre manière d’entendre la vie : Ajurnamat, ce qui voudrait dire (l’autrice ajoute la traduction à côté, comme un surplus de sens), c’est comme ça. Miroir de la fatalité et de la résignation dans laquelle la rude société inuit construit son rapport à la mort. Pardon pour la platitude mais afin de nous rendre la temporalité propre de cette société, de donner image et parole de sa pensée magique, De Pierre et d’os éclaire discrètement le rapport à la mort d’un individu et de son groupe. C’est comme ça : le suicide s’envisage quand on devient un poids pour la banquise et le groupe, l’euthanasie s’offre aussi comme solution avant l’extrémité dernière du cannibalisme.

Elle n’a pas l’âge de ce qu’il lui arrive : en perdant sa grand-mère, elle perd aussi sa fille.

Un autre puissant attrait de ce roman tient précisément au flottement de son statut romanesque. La délicatesse de la langue, sa façon de couper avant de sombrer dans le pathos, le travail sur le rythme de l’intrigue tendent à effacer son très puissant aspect documentaire. Cette précision quasi ethnologique, on devine une grande connaissance des très nombreux travaux sur le sujet, permet d’abord de dire la complexité des rapports sociaux dans cette société certes primitive mais dont le fatalisme offre  certaines ouvertures. Bérengère Cournut place au centre de son invention ethnographique la  place des femmes. Elle semble assez surprenante, jamais tout à fait rattrapé par le patriarcat, toujours réagencer par la nécessité de survivre. Uqsuralik est déchiré, un garçon manqué séparé de son groupe d’appartenance, elle devra s’inventer une autre identité, composer avec les règles de chasse et autres tabous dont le récit donne un saisissant aperçu. De pierre et d’os souligne alors l’importance des récits. Le roman montre d’ailleurs comment lors de fêtes il intervient comme un apaisement des tensions. On peut d’ailleurs penser que Bérengère Cournut propose son récit comme une contre-narration, une image de ce qu’ici aussi pourrait fonctionner. L’autrice a l’intelligence de ne jamais insister.

Les femmes puissantes

Encourent d’abord

Tous les dangers

Mais, si De pierre et d’os propose un autre rapport au monde c’est par ses trouées poétiques, porte d’entrée vers une pensée magique qui insidieusement (comme une initiation « en sommeil ou en cours d’ensevelissement ») devient une pratique. Le texte est percé par des chants, bercé par leur singulière musique. Ils deviennent une révélation du vraie caractère de l’héroïne et sa « soif de vision et de chant ». L’amalgame de documentaire et de romanesque me paraît alors toucher son but : reconstituer par l’invention ce qu’a été la magie, un autre récit de soi donc, pour la société inuit. Toujours avec une très crédible simplicité, toujours focalisée sur les pensées de son personnages, parvient à donner image et saveur « de cet état d’extase qui permet de rejoindre l’espace céleste. » S’approprier un imaginaire fonctionne sans doute seulement si on parvient à rendre compte du mélange de pragmatique (de transfiguration de la vie diurne), d’imaginaire collectif et cette part de refoulé où, peut-être, se réfugie l’individu. Il est une vraie beauté, une forme de pertinence partant, à ces scènes de magie. On pourrait alors finir sur le plaisir simple, primitif, de se laisser prendre à ce récit, dont la morale conserve une heureuse part d’hermétisme, comprendre la possibilité d’être redit et différemment interprété.



Un grand merci au Tripode pour l’envoi de ce roman.

De pierre et d’os (220 pages et un très joli carnet de photos, 19 euros)

3 commentaires sur « De pierre et d’os Bérengère Cournut »

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