Roman d’éducation enthousiaste, très fine réflexion sur les circularités temporelles et les identités autres qu’elles nous inventent, sur la conscience de l’autre et les altérations de soi et, donc, prose sur la construction de l’identité féminine. Souvenirs de l’avenir revient dans une très belle construction narrative (le roman en train de s’écrire se coupe de passage de journal, d’enregistrements de conversation de sa voisine et d’extraits d’un roman inachevé) sur la formation intellectuelle, amoureuse, interrogative et introspectrice. À travers la possibilité de cet autre histoire, Siri Husvedt délivre la possibilité d’un intranquille apaisement.
Quel immense plaisir de retrouver un roman de Siri Husvedt après mes lectures d’Élégie à un américain et de Tout ce que j’aimais. L’autre histoire au centre de ce roman, c’est-à-dire comment une histoire devient autre chose, un nouveau récit, se comprend aussi dans la continuité de l’œuvre de l’autrice. Un jeu de ressemblance faussée entre ces romans, une similitude dans l’histoire : ne s’agit-il pas toujours du récit d’une émancipation intellectuelle, d’une apologie toujours bienvenue de l’intelligence, de la lecture, de l’écriture. Une vie intense et passionnée derrière le clavier. Une sorte aussi de fidélité à ses premiers rêves. Dans 4, 3, 2, 1 Paul Auster variait et revenait lui aussi sur ses années de formation avec un enthousiasme et même une ombre de naïveté. Il serait faux de penser que Souvenirs de l’avenir en serait le pendant féminin. Les deux romans entretiennent pourtant un dialogue tacite, une manière de s’approprier ce qu’on est devenu d’une façon romanesque. Avec toutes les armes du roman, comprendre un dialogue avec toutes ses interprétations possibles. Les romans de Siri Husvedt sont tous d’une grande intelligence, ils charrient toujours un grand nombres de théories comme autant de reflets de la très vive vie intellectuelle de l’autrice toujours à l’affût. Il faut néanmoins souligner qu’elle sait incarner ces scènes. New-York 1978-1979, un décor dont Husvedt nous rend toute la profondeur, la découverte un peu fauchée où se fabrique un écrivain.
ce héros était moins un personnage qu’une possibilité rythmique, une créature embryonnaire de mon imagination, que je ressentais comme une série de battements métriques s’accélérant ou ralentissant avec mon pas tandis que je déambulais au hasard dans les rues de la ville.
Notons au passage que le rythme incantatoire de la prose, cette façon de se parler à soi-même pour essayer l’équilibre d’une phrase dessinera d’ailleurs un lien avec cette confrérie de sorcière qui attire à elle la narratrice. Il faut je crois déminer un malentendu à propos de ce roman. J’ai lu (dans un article de Médiapart) que Souvenirs de l’avenir était un roman à thèse et, pis, qu’il s’appuyait sur une interprétation faussée de l’histoire de l’art. Une lecture singulièrement peu porteuse je crois. On peut certes penser que le récit de la baronne Elsa von Freytag-Loringhoven vient un peu parasiter le roman. J’aime pourtant l’hypothèse que ce soit elle qui ait inventé l’urinoir de Marcel Duchamps. Il semblerait que l’hypothèse soit fantaisiste sans que cela ne remette en cause la valeur du récit qui, précisément, cherche à mettre en scène la pluralité de la maternité d’une œuvre.
cette incontestable vérité – à savoir que les mots d’un individu ne lui appartiennent pas au sens authentique du terme -, je me demande toujours qui est réellement en train de parler là-dedans.
Réduire Souvenirs de l’avenir à un roman à thèse reviendrait à faire taire la pluralité des voix à l’œuvre non pas dans son sein mais au centre même de cette narratrice. Je pense qu’il faut entendre le discours (parfaitement pertinent malgré la difficulté à le prouver) d’une usurpation masculine de toute création féminine comme une voix de plus. On ne parle pas du tout de l’œuvre, de sa très belle construction, si on la réduit à un roman féministe. Sans doute faudrait-il surtout accuser l’altération de notre regard : une femme raconte son histoire, son agression et les multiples humiliations qu’elle a subis (très belle anecdote de la fêlure sur la tasse) s’invente une communauté (superbes sorcières schizoïdes) voilà qui devrait tramer seulement un roman d’initiation. Une histoire de femme mais pas seulement. Une histoire intellectuelle aussi : la narratrice s’arme ainsi d’un couteau en référence à la baronne et s’invente ainsi d’autre référence. Trouver sa place est à ce prix. Avouons mon amusement devant ces « Bataille boys », ces intellectuels proprets de se vouloir transgressifs qui se prétendaient séduits par la joie suppliciante de Georges Bataille et sa façon de contempler des photos de torturés chinois. Tout une époque qui ressurgit au détour de ce genre de notations.
Je n’ai parcouru des milliers de livres de la bibliothèque, ne suis passée par d’innombrables chambres mentales et me suis engagée dans des couloirs dont j’ignorais l’existence que pour découvrir à la fin d’autres portes à ouvrir.
Siri Husvedt n’apporte pas de réponse juste la possibilité d’écrire une autre histoire. Elle parvient alors à « cafouiller le temps ». Les différents récits qui composent ce roman permettent l’invention d’un temps linéaire en écho avec d’un soi qui serait « juste un bouquet de petites histoires collées ensemble de façon aléatoire et qui servent à nous réconforter. » La voix de la narratrice se sépare, elle devient cette Introspectrice détective, cette SH comme un Sherlock Holmes qui aurait abandonné l’hystérie de ses déductions. Le roman dans le roman comme les passages du journal sont d’ailleurs captivants surtout, donc, dans leur façon de donner à voir un temps amalgamé, celui de la physique quantique mais aussi celui du devenir heureux ouvert par le roman : ce dont il faut se souvenir c’est tout ce qui pourra advenir. Un peu à la façon du Petit copain de Donna Tartt, la narratrice écrit un roman sur la fin de l’enfance, quand elle commente son récit ou son journal, il affleure de très incarnés souvenirs, de toutes les perspectives qu’ils ouvraient. Au-delà de cette construction complexe (j’aime à la croire en partie ironique notamment par ce jeu sur les initiales), il se dégage une jolie forme d’apaisement. Un appel à cette vie mieux vécue que serait lecture et écriture.
Un grand merci aux éditions Actes Sud pour l’envoi de ce roman.
Souvenirs de l’avenir (trad : Christine Le Bœuf, 334 pages, 22 euros 80)
J’ai lu « Un été sans les hommes » qui m’avait beaucoup plu, je suis ravie de voir qu’elle écrit d’autres romans de qualité.
Tu conseillerais lequel parmi ceux que tu as lu ? « Tout ce que j’aimais » revient souvent. (celui-ci attendra sa sortie en poche, aha)
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Tout ce que j’aimais est un de ses grands romans. Je conseille…
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