Du noir, brutal et sec, sans concession pour la société slovaque gangrenée par une corruption généralisée. Virevoltant dans une violence partagée par tous les personnages, Il était une fois dans l’Est ou le récit d’un ratage dégueulasse puis d’une revanche comme ultime rebondissement. Arpád Soltész joue de son intrigue emmêlée, de ses très brusques changements de points de vue et de personnage en virtuose. On se laisse happer par la très grande noirceur de cette histoire de trafic d’être humain.
Aux premières pages de Il était une fois dans l’Est, le lecteur pense reconnaître un des indéniables modèles d’Arpád Soltész. Comme dans les livres de l’immense James Ellroy on est d’abord un peu perdu dans la prolifération des personnages qui nous donne leur interprétation des faits dans un changement de perspective effrénée. Au risque de péniblement me répéter, la grande valeur du polar est son travail sur le rythme, les mises en ellipses de son intrigue. Sur le sujet, Il était une fois dans l’Est propose une partition admirable sans le moindre temps-mort et surtout un très réussi amalgame d’une intrigue assez complexe (manipulations à tous les étages entre les services secrets slovaques, les mafieux locaux à peine différents, flics corrompus, juges marrons et avocats pourris et les roms en proie à un juteux commerce) mais dont le déroulé à la fatalité de ces histoires de branquignoles dont le naufrage pressenti est un des plaisirs pervers du roman noir. Si on pense véritablement à James Ellroy c’est aussi, hélas, par cette violence quasi parodique, un rien systématique dont le grand écrivain américain fait montre. Tous les personnages d’Arpád Soltész sont d’une violence sans rémission, d’un caractère peu reposant. La lecture de son livre offre guère d’apaisement. Pour clore ce rapprochement pas tout à fait fonctionnelle précisons cependant que Il était une fois dans l’Est s’empare de cet humour, par chute de phrases paradoxales et comparaisons rieuses, qui est une des caractéristiques du meilleur roman noir. Arpád Soltész reprend cependant aussi un des traits les plus géniaux d’Ellroy : une appropriation de l’Histoire dont les excès de noirceur deviennent un critère de vérité. On sent, comme il le dit dans un très drôle avertissement au lecteur, la vérité profonde, de son roman, une façon de prendre en charge l’Histoire contemporaine de son pays.
À cet instant précis, elle s’était rendu compte que personne ne se considère lui-même comme un salaud. Car chacun ne s’autorise que le compromis moral qu’il peut justifier à ses propres yeux.
Est-il, au passage, trop tôt pour déclarer la naissance d’une mode ? Un des motifs de la littérature contemporaine semble être de reprendre les années 90 et de les traiter comme une période de basculement. À l’Est cela paraît tout particulièrement justifier. La Slovaquie, comme la Russie sera dans les années 90 en proie à ce que Lebedev appelle les hommes d’août. L’homme post-soviétique montre que l’autre nom du capitalisme est une mafia généralisée, de moins en moins explicitement violente : plus besoin de contourner la Loi, souligne Arpád Soltész, quand ce sont les criminels qui la dictent. Il était une fois dans l’Est distille, au passage, une hypothèse assez crédible pour justifier son intrigue : la Russie instrumentaliserait l’ethno-tourisme, faciliterait par ses réseaux mafieux le passage de Rom vers les pays plus riches de l’Europe afin de les déstabiliser, se servir d’ailleurs ainsi sur le dos de ces Roms . Laissons au lecteur la chance de découvrir la force de la dénonciation contenue en creux dans ce joli roman. Il faut d’ailleurs noter que c’est ce témoignage sur l’horreur d’une situation qui permet à Il était une fois dans l’Est de ne pas sombrer dans cette naïveté qui si souvent rattrape le roman noir quand il se laisse prendre à l’escalade de la violence et de sa noirceur. Veronika est à ce titre un très joli personnage féminin qui ne se laisse, contrairement à la tradition bien ancrée dans le roman noir, réduire à la femme fatale ou à l’amour comme dernier échappatoire du pessimisme du héros. De héros point dans ce roman aux multiples personnages. On suit les traces, et surtout les impuissances, Miko du Barge et de Schlesinger qui tentent de faire payer, ou seulement de trouver un coupable, à ceux qui ont enlevé Veronika. Laissons au lecteur le plaisir de voir comment elle se débrouille très bien elle-même pour exercer une vengeance dont Arpád Soltész suggère le peu de bienfait.
Un grand merci aux éditions Agullo pour l’envoi de ce roman.
Il était une fois dans l’Est (trad : Barbara Faure, 384 pages, 22 euros)
J’ai beaucoup aimé cette lecture et ses personnages.
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