Les vestiges d’Alice Marc Kiska

prix du roman gay 2017 mention spéciale du jury

Ce qui reste de l’enfance, les vestiges d’enfance, des rêves d’une vie sans résignation et où sexualité et amour s’amalgament et s’entre-déchirent. Un récit d’adolescence où l’éveil à la sensualité apparaît à la fois dans sa bête brutalité, dans sa pornographie contemporaine, dans sa stupide diffusion et normalisation sur les réseaux, mais aussi dans la beauté naïve de sa protestation. Dans une prose charnelle, pleine de toucher et d’odeur, Marc Kiska dresse un joli portrait d’Henri et de Gaël mais aussi de cette prof de français et du drame de la fatalité dont Les vestiges d’Alice déroule l’implacable enchaînement en donnant voix et chair à chacun de ses protagonistes.

Le charme le plus évident de ce premier roman tient tout d’abord à la force de son refus. Au péril d’une vision un rien manichéenne, le monde des adultes est celui de la triste, grise, sans forme ni enthousiasme, résignation, celle qui boit du café pour maintenir présentable sa fatigue et ses compromis quotidien. Tout contre ça, Marc Kiska défend les derniers vestiges de l’enfance, de sa sucrée insouciance, d’une croyance obstinée qu’il serait possible d’échapper au formatage, à la vie à crédit. Les vestiges d’Alice chante une existence dans les marges, une solidarité d’une contre-culture, une sexualité débraillée sans compromis dans sa brute et, parfois, crade jouissance. Et ça fait du bien.

Secrets, découverte de la sexualité. L’amour, on y croit plus à nos âges. Débraillés après le sexe, insouciant. {…} Raideur dévastatrice pour ces mondes multicolores sans frontière ni lois. L’enfance étouffée, les couleurs fanées, les jours gris au bord de l’adolescence.

On peut, alors, en douter et trouver que, à l’occasion, le récit pêche par optimisme : des rappeurs qui soutiennent d’adolescents amours homosexuelles, une grand-mère fumeuse de weed qui lie cette communauté qui s’insurgera pour la faire libérer. Dans nos temps de violentes répressions policières, il ne faut pourtant pas méprise ou amoindrir ce vieux rêve qui bouge encore. Corrigeons alors une méprise possible: le sexe a une grande place dans ce roman jamais érotique et où, je crois, l’homosexualité n’est qu’une forme, voire une possibilité, de ce refus primordial que cherche à exprimer Marc Kiska. Il faudrait réveiller en nous ce qui nous reste de l’Alice de Lewis Caroll, cette part de nous qui plonge dans le Terrier et ainsi se soustrait à la normalisation, au passage de l’âge d’homme. Photographe, Marc Kiska (je vous invite à découvrir son site pour vous faire une image de ces représentations mentales à la fois contemporaines et oniriques) n’ignore sans doute pas les tendancieuses photos prises par Lewis Caroll de très jeune fille. Semblerais-je pudibond, désespérément adulte, si je confesse que l’attrait pour l’adolescence, les temps de mutations et de découverte, en vient parfois à m’embarrasser ? Sans grande originalité, on pense à la lecture des Vestiges d’Alice à du Larry Clark, à cette possibilité, avec un très beau travail sur la lumière, de montrer la beauté de ces corps qui maladroitement s’étreignent, se cherchent et se perdent. On aura notre lot de pisse et de merde, de sexe sans tendresse dans des chiottes, de désir ambivalent qui, pour ne pas dire son nom, se cache encore derrière une androgyne attirance. Marc Kiska joue dès lors avec la transgression du salace, varie ses éclairages et en somme donne une langue à ce désir toujours en quête d’autre chose, en attente d’un dépassement de soi peut-être. Mais là n’est pas, je pense l’essentiel.

La pornographie de certaine scènes, la capture hélas plutôt réaliste d’émois adolescents gorgés des représentations préconçues qui s’échangent sur les écrans, l’ennui et la branlette, l’alcool et le shit, sont avant tout un miroir assez exact d’une France dite périphérique, celles des gens « ordinaires ». On s’ennuie au collège, on contemple interdit l’absence de promesse de cette existence grise et sans échappatoire. On subit ses instincts et leur mise en discours, en normes. Dans Les vestiges d’Alice, les oppositions entre un monde adolescent et un monde adulte servent sans doute alors de révélateur. Le contraste au cœur de l’image. Assailli par le pessimisme, il m’arrive un peu trop souvent de croire que les ados sont aussi cons que leurs parents, qu’en dehors des recréations et des fantasmes des adultes, les enfants sont étonnamment conformistes. On aime pourtant la façon dont Marc Kiska joue de cette opposition par une métaphore qui ne semble pas tenir. Devenir adulte, commencerait au moment où l’on boit du café, où l’on abandonne le chocolat. Le sucre est un asservissement comme un autre. Certes, pour le peu que l’on puisse en deviner, l’homosexualité reste un refus de la stupide virilité et de son corollaire de domination masculine. Marc Kiska parvient à en faire une image : deux adolescents dans la nudité de leurs amours face à la répression policière, au monde des adultes qui ne tolérait pas d’autre modèle que celui auquel il a fini par se plier.

Il faudrait aussi dire le drame qui se noue. Un meurtre par maladresse, la drogue qui rend la situation horrible, une vidéo accablante qui circule et où le désir pourtant se devine. Façon pour l’auteur de rythmer son récit par de multiples changements de focal. Et puis l’espoir malgré tout. En dépit d’un soupçon de misérabilisme auquel nous n’échappons pas et qui intervient comme un contre-point à la beauté de l’idéalisme.



Merci à l’auteur pour l’envoi de son roman.

Les vestiges d’Alice (223 pages, 15 euros)

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