Capture d’un vampire dans ses différentes manifestations. Dans une plume alerte et ironique, renseignée surtout dans sa recherche des plus improbables ressemblances, Edgardo Franzosini peint le portrait d’un homme, Bela Lugosi une des plus célèbres incarnations de Dracula, par son appropriation du rôle qui le vampirisera. Bela Lugosi, Biographie d’une métamorphose, loin d’être l’autopsie d’un mythe s’amuse de sa survie, surprise dans un art très sûr de la digression.
Edgardo Franzosini le souligne : pour parler d’un vampire, il faut s’aventurer dans le thème du double. Montrer, sans doute, qu’elles sont aussi hasardeuses que l’esprit qui les distingue. Le mythe du vampire connaîtrait alors une reviviscence par une concomitance de mes lectures. Biographie d’une métamorphose revient amplement sur le jeu de doubles, de modèles faussés, dans la relation entre Henry Irving et Bram Stocker dont, dans Le bal des ombres, Joseph O’Connor donne lui aussi une très belle incarnation. Des explications d’ailleurs assez précises que le roman a la bonne idée de ne pas appuyer. Le court livre, quasiment un roman, de Franzosini oscille assez admirablement entre la précision d’une érudition dont il sait faire une folie et un jeu conscient entre les similitudes par lesquels il reconstitue, de loin, un destin. Une façon pour nous de souligner la démarche de l’auteur : une façon de ne pas entièrement croire, de ne pas se laisser prendre à la fascination qu’il distingue dans son personnage. Pour donner une incarnation à notre propos (la critique n’est-elle pas toujours un pastiche ?), on pourrait dire ceci : notre lien avec Joseph O’Connor tient uniquement à notre volonté d’y croire, comme malgré l’évidence historique. De fait, le livre de Franzosini a été publié pour la première fois en Italie en 1984.
Il s’en dégage alors une atmosphère délicieusement surannée. Peut-être même une légère obstination à ne pas accepter ce maudit passage du temps. Après tout, l’artiste finit toujours par s’amalgamer à son modèle. La première métamorphose conter par ce court récit sera celle de l’exil vers les États-Unis. Il en restera à l’acteur une inadaptation que l’auteur s’approprie. On sent parfois une totale absence de tendresse pour le mythe américain et surtout à son « uniformité moralistico-optimiste dans la conception de la vie. » Le récit d’un exil, d’une perte de la langue – comme un poisson hors de l’eau selon la comparaison que l’auteur file adroitement – permet de dresser une peinture de la Hongrie quittée par Béla Lugosi. Première insurrection communiste vite rattrapée par le bloc bourgeois. Viennent ensuite le théâtre, Hollywood (« La ville californienne est le premier exemple parfait d’organisation sociale fondée sur les rêves. »), les rencontres avec Tod Browning, l’attrait pour les monstres. Et surtout une certaine extériorité face à son sujet. Un refus de la psychologie, de sa reconstitution toujours moralisatrice. L’auteur y substitue une promenade ironique et, bien sûr, un rien mélancolique.
Reste alors la part du mythe. Il s’agit moins de savoir ce qu’est un vampire (plusieurs pistes intéressante, notamment étymologiques sont pourtant proposées) mais de savoir ce qui crée notre attirance. Une évidence non tant sexuelle qu’érotique. Le vampire c’est le trouble, la suggestion, la survivance. Edgardo Franzosini maintient ouverte toutes les possibilités de ce mythe du vampire. De la vamp à la chauve-souris incendiaire supplanté par la bombe atomique, il est un vrai délice de suivre, surtout dans de très belles notes de bas de pages, les métamorphoses de ce mythe. Le charme de ce livre tient alors beaucoup à cette distanciation, façon de ne verser jamais dans l’hagiographie et de proposer une forme de survie ironique. Pour en donner un exemple terminal : la disparition de Tod Browning répond au désir d’immortalité affirmé, au dernier instant, par Béla Lugosi. Un mystère possible sans doute tant qu’il restera des livres comme Biographie d’une métamorphose, discrets, tenaces et rieurs.
Merci aux éditions de la Baconnière pour l’envoi de cette métamorphose.
Bela Lugosi, Biographie d’une métamorphose (trad : Thierry Gillyboeuf, 123 pages, 14 euros)