Le pays de l’horizon lointain Alain Gnaedig

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Le trop tard d’un temps sans nous, celui écossais autour de la Révolution français et de ses passions collectionneuses du caduc, la monnaie (toujours plus ou moins fausse) comme symbole de la trace de ce que nous laissons. Face à l’oubli des jours, l’ellipse des saisons, dans une langue d’une vive sécheresse Alain Gnaedig dessine le destin ordinaire d’un homme curieux et perplexe, perdu entre désespoir et illusion. En ses très brefs chapitres, Le pays de l’horizon lointain décrit ce qui nous échappe, les soubresauts du plaisir, les tumultes de l’histoire collective, tous les symboles dont on se leurre pour affronter perte et passage du temps.

On peut envisager Le pays de l’horizon lointain comme une mise à la question de la possibilité même d’un roman historique, de ses étouffantes reconstructions historiques documentaires. Il y aurait dans ce roman dès lors une indéniable rigueur rieuse : l’assurance de ne pouvoir parler que de ce que l’on est certain de saisir. Autant dire ce moins que rien dans lequel toutes nos vies s’écoulent.

Parce que le réel était voilé par la nature du monde, ce dont il ne pouvait pas parler, il valait mieux le taire.

Une enfance, de stricts préceptes protestants et leur jolie (rieuse comme nous le disions) mise en doute par des détails monétaires. Un enfant peut devenir agnostique quand il voit que la quête du temple est dictée par une voix humaine, que la monnaie disparaît alors immédiatement dans de problématique cieux. Avec une belle, c’est le cas de le dire, économie de moyen, Alain Gnaedig jamais ne se perd dans le détail ou le superflu. Ses phrases lapidaires décrivent pourtant néanmoins la fin d’un monde, l’éclosion incertaine d’une mentalité nouvelle. Le grand-père dépose un brevet pour l’amélioration de la machine à vapeur, entrevoit déjà la révolution industrielle qui en ressortira. Son petit-fils, Walter Grassie le héros incarnerait alors la formation douloureuse de l’individu moderne, de l’invention du sujet.

Dans le monde, tout était vrai et tout était faux à la fois, tout n’était qu’apparence et reflet, tout était double et signe d’autre chose encore, chaque personne , chaque animal avait son côté pile et son côté face, son avers et son revers.

La naissance du capitalisme est schizophrène. Le pays de l’horizon lointain sait montrer toutes les faces de cette même pièce. Le côté lumineux d’un désir de savoir, de compréhension, les Lumières contre les ténèbres de la superstition, côté obscur, le protestantisme et son éthique du capitalisme (un élu amasse de l’argent) mais aussi face à la classification de la Nature s’oppose le cabinet de curiosité. On entasse et on cède à l’étrange. À la philosophie des Lumières, l’horizon du roman dessine déjà la montée du romantisme, son goût du faux ou nom du pittoresque, de la couleur locale mais aussi d’une revendication d’une histoire propre chez les nations en souffrance comme celle écossaise. Walter Scott fait une brève apparition dans le roman : un des inventeurs du roman historique, est aussi un des fers de lance de l’indépendance  écossaise. Walter, à Paris, sera traité, en compatriote d’Adam Smith sera traité en véritable économiste. Oublié déjà la faillite du système de Law et de ses assignats, de la naissance de la monnaie fiduciaire.  La main invisible du marché comme continuation de la providence. J’aime assez aussi deviner dans les obsessions de Walter pour Deacon Brodie, un menuisier de cours qui se révélera un grand cambrioleur, une annonce de la grande figure de la littérature écossaise, doublure inquiète de la naissance du capitalisme : Docteur Jekyll. Au retour de son Grand Tour Walter Grassie éprouvera une vraie fascination pour la monnaie locale, pour la beauté des objets d’échanges, pour leur fausseté aussi.

Des jours et des années passèrent ainsi, tous différents et pourtant emplis de ressemblances et de correspondances.

La naissance de l’Histoire, de ses sociétés savantes et de ses antiquaires dont le roman nous offre un aperçu au détour de ses phrases, ne tarde pas à s’accompagner d’un désir d’un sens supérieur. Comme nous le rappelait Les manifestations, le XIX siècle marque un retour de la superstition. Le pays de l’horizon lointain apporte une touchante explication à cette croyance, maçonnique, du symbole dans toute chose : une angoisse temporelle dont Alain Gnaedig nous fait toucher du doigt. L’Histoire ne se répète pas, il lui arrive pourtant de bégayer. On sait rien de la vie d’un homme, le roman nous le rend dans ses silences et dans sa certitude du trop tard. Une phrase s’impose comme un mantra : il est tard sur la terre. Dans l’illusion et l’opium, Walter peut avoir un instant l’illusion d’arriver à un monde en éclosion, une terre où il serait tôt. La vie ne tarde jamais à imposer ses deuils, aucun individu ne se confond jamais totalement avec une période historique. Notre désir de reliques, le sens du beau que nous lui attribuons, répond à ce besoin d’immuable si bien compris dans De toutes pièces de Cécile Portier. Une angoisse que ce roman nous permet de comprendre : « Dans l’éternel présent de leur cabinet, ils n’étaient toutefois que de simples obsédés de la caducité des choses. » Tout romancier, in fine, ne fait pas mieux que Walter Grassie : il paie en fausse-monnaie son acharné refus du temps perdu. Insistons encore sur le fait que Le pays de l’horizon lointain parvient à n’être pourtant nullement théorique : le lecteur se laisse porter par les autres évidences effleurées dans le voyage par Walter, sa quête des sens, son amour éperdu et l’élégante mélancolie qui enchante les pages de ce bref roman.



Un grand merci aux éditions Joelle Losfeld.

Le pays de l’horizon lointain (152 pages, 15 euros)

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