Des mythes en mutations, des nuits de morts renaissantes et mutantes, de désidération, de création d’une autre poétique, pleine de vides, de troués de langage, d’interstice où le lecteur est invité à prendre place dans cette expérience, subjuguante, de perte du sujet. Blandine Volochot n’écrit plus des nuits, des vertiges, au carrefour de la critique et de la poésie, de la fiction et de son impossibilité, Lucien Raphmaj invente une parole de l’errance de l’hyperrêve et de l’ultramorphose. Laissez-vous happer par la pieuvre, l’hydre d’un imaginaire en mouvement.
Évitons le soupçon de tout renvoi d’ascendeur : le livre dont je m’apprête à vous dire le plus grand bien est publié chez Abrüpt, la très belle coopérative éditoriale assez folle pour publier mon Crevel, cénotaphe. Pour aggraver mon cas, Lucien Raphmaj a eu l’amabilité d’en faire une récession élogieuse. Voilà qui est dit. Le plus important me semble le sens de la communauté, inavouable pour causer comme Maurice Blanchot une référence évidente de ce communisme sans ciel -d’une solitude essentielle – dessiné par cet éloignement de l’identité, de son individualisme, esquissé dans ce récit d’une apocalypse (dans son sens de révélation) métamorphosée tout au long de son récit. L’effacement de soi, de la posture de l’auteur, de son image, pour ne point dire d’une tension vers un anonymat sous pseudonyme dans un très joli jeu non sur l’épicène (l’identification au féminin) mais sur une écriture inclusive qui réaliserait une synthèse de nos métamorphoses genrées. Au fond, Lucien Raphmaj illustre parfaitement la volonté du collectif Abrüpt, une éco-poétique commune, nouvelle et sans fixité. Vous l’aurez compris les aventures stellaire, glaciaire, post-apocalyptique (pour ne pas dire post-exotique tant Antoine Volodine est une stase des perpétuelles modifications ) de Blandine Volochot(de Blandine Volochot, de Blandine puis de Volochot, d’elle puis du tiers-lecteurs puisque même l’identité du personnage ou de celui qui l’invente est soumis à altération permanente) sont une expérience d’autre-chose. On pourrait le nommer désastre, pour parler comme Blanchot, ou d’une tentative de dédire le dit, pour parler comme Levinas, en quête d’une rencontre, de l’invention d’un visage, d’une figuration. On ose plus dire une muse.
À nous l’histoire de cet ailleurs. À nous l’histoire de cette nébuleuse.
Prends ta place lecteur, enfuit toi dans « les rémanences spectrales de son discours », laisse-toi altérer, sidérer par une « maladie de la langue, une addiction de la fiction, une corruption de l’imaginaire. » Blandine Volochot est donc un objet d’une pluralité du (dans le) genre. Disons une sorte d’essai critique qui emprunte au vertige de la fiction pour en repousser les frontières de l’impossible. Une partie de cette prose hallucinée s’entend dans une manière de compréhension intellectuelle. Lucien Raphmaj entrecroise des références : Bataille (un petit peu) pour ce réel qui serait impossible, cette incertitude pour ce qui touche à l’avenir et qui ne s’approche que dans une expérience intérieure (l’approbation de la vie jusque dans la mort) qui parviendrait à ce qu’il appelait la haine de la poésie. Dans des volutes stylistiques stellaires, des graphies nouvelles (allez regarder l’antilivre numérique qui donne un visage à cet enroulement autour d’un sujet absent), Lucien Raphmaj dit des flashs, des illuminations, des percées où soudain explose ce qui reste, ce qui s’oublie, perdure, la littérature ou la mort. « Tuer) les mots) en soi) franchir) les mots) faire cendre ) faire vivre) ce qui toujours) arrive) la fin) vivre) avec». Expérience donc des confins de la langue, de ce qui pourrait survivre à sa fin. Une explication de la constante référence à Blanchot permettra, qui sait, au lecteur de s’orienter dans cette évocation aveugle de Blandine Volochot : l’homme qui consacra sa vie à la littérature et au silence qui lui est propre, Blanchot donc, distingue – pour autant que je m’en souvienne – deux versants de son œuvre. Celle de jour qui serait son activité critique, des livres aussi essentiel que L’espace littéraire, L’écriture du désastre où Blanchot saisit l’essence du geste littéraire : une façon de sans cesse reconduire la fin, de dire la mort dans un regard d’outre-tombe, d’approcher sans cesse ce voile d’impossible que serait ce réel compris comme une réalité rendue à ce qu’elle a d’inédite, de déjà vécue, de toujours inouïe et pourtant d’en permanence déjà vécue, ressentie mieux par autrui. On m’excusera cette approche réductrice, on consultera plutôt les livres de Blanchot et ses pages admirables sur Kafka, Leiris… Blanchot écrit aussi ce qu’il appelle son œuvre de nuit, des récits de l’étrangeté, du cauchemar, de la révélation. Il faut lire Thomas l’obscur ou Amminadab. Une compréhension un peu réductrice de Blandine Volochot serait de l’entendre comme une volonté de réconcilier nuit et jour. Le « personnage » est poursuivie dans sa nuit comme pour se demander « De quoi suis-je le poème ?» La nuit comme royaume de l’illumination, de cet instant où tout s’achève pour mieux recommencer. C’est cette pointe extrême de l’instant que Lucien Raphmaj approche si souvent dans son livre.
Par diffraction intime de mon multivers. je dis « mon », je dis « je », cela est une fiction.
Fort heureusement, Blandine Volochot n’est pas qu’un agglomérat de références, l’appropriation d’une pensée. J’allais dire, comble de l’absurdité, que Lucien Raphmaj déploie ici les limules d’un univers qui lui est propre. Le sens essaime, se dissémine. Une ambiance de fin du monde, un vocabulaire astrale très contemporain. Des voix entendues à la radio perce l’éther. Après Les échappées de Lucie Taïeb et Hic d’Amélie Lucas-Gary, le motif paraît écouter notre époque. La littérature y redeviendrait cette parole qui ne se tait jamais tout à fait, qui écoute les révolutions, en porte mémoire et espoir. Tout ce qu’il nous reste, s’oublie et revient, dans ces temps troubles.
Un grand merci à l’auteur pour l’envoi de ce livre
Blandine Volochot (169 pages, 9 euros 50)
Quelle belle lecture vertigineuse pleine de glissements et de déplacements qui fait si bien écho au livre !
J’aimeJ’aime
Intriguant… A découvrir !
J’aimeJ’aime