La pêche, ses enchantements, ses fanfaronnades et ses clandestinités, ses résistances à l’oppression. Avec un humour ravageur, Comment j’ai rencontré les poissons dresse un portrait doux-amer du père du narrateur, de ses enthousiasmes mais aussi de chacune des menaces de l’époque. Ota Pavel livre une série d’instantanées joyeux et donc d’une gravité insidieusement distillée.
Il est de rares livres joyeux : peu nombreux sont les romans qui savent restituer l’enthousiasme et sa liberté fondamentale. Une insouciance canaille et braconnière, une façon de frayer avec la vie, de redonner à l’enfance sa part de peur, d’admiration. Une manière aussi de savoir que parler des jours heureux se fait au prix de leur sacrifice. En de courts chapitres, Comment j’ai rencontré les poissons insuffle un véritable enthousiasme dans un regard sur les frasques du père, son bagout et son désir de tout sacrifier à la pêche. Leo, le père est vendeur chez Electrolux, il refourgue des aspirateurs même où il n’y a pas de raccordement à l’électricité. La Tchécoslovaquie d’avant-guerre, une image de la prospérité. Une vision surtout de la camaraderie dont jamais ne se départira tout le roman dans son art assuré du portrait. La vie telle qu’elle coule, très fort, belle et cruelle. Un enfant découvre la pêche, reçoit sa première canne, celle que rien jamais ne remplacera.
Voilà qui pourrait fleurer la naïveté, une nostalgie idiote dans sa cohorte d’idéalisation. Très vite, comme un mauvais présage apparaît cette conscience de la perte : « Nous ne reviendrons plus ici. Le carnaval des enfants est terminé.» Derrière sa frime, sa joie, le roman dessine alors le portrait d’une autre Tchécoslovaquie. Doucement, le thème de la judéité s’impose. La Déportation est alors traité dans un sourire tragique. La pêche devient une survie. L’entraide malgré tout et le poissons de légende dont le narrateur se trouvera dépouiller. Ota Pavel fait alors preuve d’un art très sûr du non-dit. On effleure les drames, on les couvre d’un sourire. On supporte malgré tout les excentricités, comme le fera toujours sa femme, puisque c’est peut-être la seule façon de s’en sortir. La judéité (du père mais non de la mère) sera aussi une très belle façon de traiter la période communiste : Leo s’y engage avec sa ferveur habituelle avant que ne vienne la déception. Toujours si habilement décrite dans des récits animaliers, une histoire de porcs puis de lapin. Pour le père, le communisme c’est l’espoir de voir son identité juive gommé. Elle ressortira peut-être par ce qui est resté comme le complot des médecins ou l’antisémitisme soviétique se voyait dévoiler. De tout cela Ota Pavel parvient à rire. On se laisse emporter par ce roman dont je ne parviens – le contexte d’un confinement dont l’angoissante incurie politique me rattrape – à rendre suffisamment compte. Lisez ce livre profond et drôle pour en découvrir le sombre point aveugle qui permettra d’affirmer : « Je sais désormais ce qui attire la plupart des gens, ce n’est pas seulement la quête du poisson, mais la solitude des temps révolus, le besoin d’entendre une fois encore l’appel de l’oiseau et du gibier, d’entendre encore tomber les feuilles d’automne. »
Un grand merci aux éditions Folio pour l’envoi de ce roman.
Comment j’ai rencontré les poissons (trad : Barbora Faure, 276 pages, 7 euros 50). Le livre est disponible en version numérique.