Instantanées amoureux, réflexions en passant, récit impressionniste de voyage, réflexion sur l’ambiguïté. Dans une prose limpide et évocatrice, Ettore Sottsass, grand designer, artiste pluriel, dépeint les tourments amoureux, trahisons, malaises et contact à nu avec la fuite du temps. Dans Écrit la nuit un homme nous parle, avec ces défauts et ses grandeurs.
Il faut bien commencer par une once d’agacement : à se mettre tant à nu, à affronter d’abord l’ordinaire d’une liaison adultérine puis le voyage, Ettore Sottsass apparaît un rien hautain. Une sorte d’évidence dans la richesse de sa vie sociale, intellectuelle et artistique. Les femmes doivent être belles ; les hommes des artistes. Avec les puissants du monde sans doute que tout croit va de soi. Cependant, dans ce reproche tient toute la valeur de ce livre : la voix de l’auteur s’y fait entendre, elle met à distance toute vaine séduction.
Nous avons fait des dessins, des photos des collections, des décors, nous avons vécu dans une sorte d’extase un amour sans bassesse, sans faille, sans incertitudes, une sphère intacte qui naviguait entre bonheur, nostalgies, jalousies, terreurs, souffrance, douceurs, sommeils, orgasmes, proximité, éloignement. Et tout cela très longtemps, mais trop peu, trop rarement. C’était impossible.
C’est con, l’amour. Du dehors. Écrits la nuit parvient à nous en rendre toute l’exaltation, peut-être comme dans la citation plus haut par un jeu entre singulier et pluriel. L’auteur, à plus de cinquante ans, tombe amoureux d’une première jeune fille. Le texte, avec de jolis accents de clandestinité, met à nu les ressorts – souffrances et joies, solaire solitude et dissimulation – de cette liaison. Toute la complexe évidence en apparaît au lecteur. La souffrance infligée à sa femme, le refus obstiné du temps, l’entêtement à la beauté. Peut-être est-ce que ce désir du Beau, du dépassement, de la curiosité explique-t-il cette nécessité de «se construire des perfections nouvelles, pour sans cesse nourrir en nous la nostalgie qu’elles nous laisseront. » Nostalgique amusé, Ettore Sottsass frappe alors par la précision de son regard. Au moment de bonheur amoureux, au risque de me répéter il sait en restituer toute la volatile sagesse se substitue des voyages. Avec la même curiosité esthétique.
Tel qu’il est {le tourisme de masse} aujourd’hui, il m’apparaît comme un nouveau genre de consommation colonialiste, une exploitation de la destinée plus ou moins cruelle d’autrui. On pourrait le voir comme un gigantesque alibi, la meilleure manière d’éviter le voyage intérieur, la connaissance de soi.
Écrit la nuit recueille alors de très belles notations de voyage. Sur le sens même que peut avoir cette curiosité de passage, le tourisme de « masse » comme manière de se fuir. Ettore Sottsass dit goûter surtout, par nostalgie intranquille, l’ambigu et son inachèvement. Il en retient de très beau fragment lumineux, notamment ses descriptions de son voyage en Inde. Écrit la nuit apparaît alors comme ses petits livres singuliers dont il vous reste une saveur insituable, des impressions flottantes, exactement celles que l’auteur parvient à capturer.
Merci aux éditions Herodios pour l’envoi de ce roman.
Écrit la nuit, Le livre interdit (trad : Béatrice Dunner, 98 pages, 16 euros)
Amitiés. Je vais suivre tes pas et merci pour cette chronique qualitative et prenante !
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