Cristina Caloniz Herminia

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Fragments d’enfance, floraison des sens, éclats de violence – sang et mort. Avec une très haute poésie, une concentration du sens qui se cabre et se capture, Caloniz Herminia donne à entendre saveur et senteur du souvenir, au seuil de la rêverie, au bord de l’inventé et du sourd écho de chacun de ses instantanées d’une douloureuse beauté. Il faut se laisser porter par la sombre somptuosité de la langue de Cristina et de l’histoire plurielle, entre hantise et surgissement, qui s’y devine.

Si Cristina est un récit d’enfance, ce serait celui des enfances, de tous les mondes effleurés, deviné à la pointe d’une fleur si présente dans tous ces fragments, dans ce qui serait aussi un roman pluriel d’être composé d’une suite de fragments, autant de poèmes en prose, dont la cohérence apparaît par une très jolie résistance du sens. Bien plus intéressant, captivant surtout, que de savoir si l’autrice opère dans ce recueil poétique (osons le terme) une transmutation de sa propre expérience (l’Argentine dont est elle originaire ressurgit par des mets, des odeurs, des mots surtout pour leur sonorité), la cohérence profonde de ce texte tient à son style aussi, je crois, unique que l’appréhension du monde qu’il donne à voir. Appréhension, peut-être vous l’ai-je déjà dit, le terme m’est cher : il laisse entendre la peur, l’expectative, sous-entendue dans la saisine de soi et du monde. On entend chez Caloniz Herminia une ombre de préciosité, un goût du terme rare si apte à restituer l’étrangeté même de la langue, l’écart que devrait induire son utilisation littéraire poétique. Ainsi, Cristina, par sa langue repousse les interprétations faciles : Caloniz Herminia est originaire de Colombie, ce fait autobiographique prouve-t-il son écart à la langue, son emploi majestueux et trompeur ? Je n’en suis pas sûr. Peut-être est-ce aussi cela la poésie. « La mort : un air repris en voix de tête, une octave en dessous. »

Nos jambes ballent dans le vide. Ma main relaie mes lèvres fatiguées ; doigt dans l’anus, je le fends  pour exprimer son jus. Il éclate en sanglots, se vide de sa tendresse sur mon sexe chauve.

Outre les floraisons, senteurs d’une campagne, étangs paisibles, Cristina se révèle hanté par un fantôme indécis plus qu’indécent. L’inceste rôde dans ce texte, il apparaît dans sa violence mais aussi dans sa perverse fascination. L’ombre d’une figure paternel comme contre-point, présence esquissée, fantasme douteux, récit d’un possible ou mise à distance – déni et irréalité – de la douleur. Caloniz Herminia parvient, sans le moindre commentaire, à cet équilibre stylistique imploré par Cécile Lapertot dans Ce qui est monstrueux est normal. Au fond, il n’est pas mauvais d’interroger ce qui motive le lecteur à se plonger dans des récits d’inceste. Un goût du trouble et de l’incertitude dont l’autrice excelle à communiquer l’âpre saveur. Le possible beau-père incarne dans son sens le plus fort le corps brut, tatoué, dangereux. Le lecteur, désarçonné, en interroge les apparitions, le surgissement en de brutales chute de fragments, chacun décrivant une sensation aussi précise qu’onirique.

On touche d’ailleurs là à toute l’ambivalence de ce récit si poétique. Splendeur de l’écriture en répons à l’horreur de la situation. On pourrait d’ailleurs, par instant, trouvé un rien sur écrit ce livre. Il joue de l’incompréhension, de l’obscurité de ce qui survient. Instant avant la mort, la menace. « Le cœur grelotte dans un coffre à musique – se souvenir des baracoles lorsque sonnera le glas. » Une écriture qui ose la précision, le terme rare, florale pour mieux faire comprendre qu’il ne s’agit pas de rendre compte de la réalité mais de saisir des figurations pour ne pas dire de tutélaires démons. À cette figure du père répond, par instant seulement, la figure plus lumineuse de la Mère. Caloniz Herminia maîtrise de la coupure, entre reprise et redite, elle dit l’ambivalence de la pluralité des enfances capturées ici. La Mère, dans toute cette projection mortelle, voire morbide, est nettement plus ambiguë. Elle accuse sa fille d’exposer toute cette viande. La poétique au travail dans Cristina dessine une matérialité corporelle. Sang et viscères, chaque fragment se referme sur sa destruction. On tranche, on passe à une vision de substitution. Le lecteur, au cœur de la Touraine, se laisse porter par un temps indécis, saturé de fausse piste pour déjouer la linéarité de cette enfance censée être saisie à différents âges. Un contre-poids de la mise à nu de la sensation, sa rêverie, opérée dans tout ce très beau récit où les sensations sont mises à nu, incarnées.

On ressort de cette lecture avec une impression de prose alluviale où ce qui importe (revient ou reste) est d’inventer un réseau métaphorique. Des images qui se confondent, reviennent, des mots qui sonnent. Les objets, les fleurs surtout, personnifient la souffrance et son désir. On voit de belles et sombres projection ; on entend le dépassement de soi. On touche à l’image dans ce qu’elle a d’impersonnelle. « L’enfance n’est que bouquets. »



Un grand merci aux éditions Le Réalgar pour ce livre.

Cristina (69 pages, 10 euros)

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