Carnet d’hiver austral Laurent Margantin

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Instantanés, réflexions sur la débilité du monde et ses aveuglements mais aussi  pensées fugaces, profondes, sur la littérature, la traduction, le régime d’écriture. Dans une prose sautillante, dont la légèreté révèle le long accaparement d’un ressassement nommé vie intérieure ou voix propre, Laurent Margantin nous décrit ici moins sa vie que les réflexions qu’elle lui inspire. La mer au loin, le nom des arbres sur le bout de la langue, Carnet de l’hiver austral est une déambulation  habitée, inspirante.

Commençons d’abord par des excuses à l’auteur dont j’ai eu le privilège de parler de son très beau récit Le chenil, de Diversions son absorption à la rumeur du monde et surtout de sa traduction du journal de Kafka : son Carnet de l’hiver austral depuis des mois traînait sur ma bibliothèque. Pas le bon moment, pas l’allant pour le lire, pas le désir de se plonger dans des écrits intimes. Et puis soudain une lecture fait le raccord comme on ouvre une piste à poursuivre. L’indispensable Solénoïde de Mircea Cartarescu m’a donné l’envie de me replonger dans la volition de dire, au jour le jour, la vie telle qu’elle s’enfuit, une vibration du monde.

Tourner le dos à un siècle agité, ce n’est pas mépriser l’humanité et s’en détourner, mais aller vers elle (parfois) par d’autres chemins.

Laurent Margantin signe donc ici un carnet ouvert au silence (celui de la sidération après être passé à la télé ou celui suivant la mort de Lorand Gaspar), à une certaine distanciation sur un avis qu’il conviendrait d’avoir sur l’époque. On peut, je crois, parler de journal extime tant dans ses carnets l’auteur opère une ouverture à l’extériorité. Voilà qui m’aura permis, je le découvre au fil de cette phrase, d’éclairer ma réticence à lire, dernièrement, des carnets : lire journaux ou carnets revient à se positionner face à cette pratique, peu ou prou à se situer face à sa propre possibilité de tenir soi-même des carnets. N’ayons pas peur de la platitude (l’écrit intime est aussi une redécouverte quotidienne du monde tel qu’il se délite et se recompose) : l’important dans un journal n’est pas ce qui est dit – en ce sens peu de diariste dispose de matière inédite – mais bien de la façon dont le dire. Laurent Margantin, en parlant de traduction puisqu’un des charmes des journaux est de savoir parler d’autre chose d’une façon éclairante, évoque avec raison le régime d’écriture. Il conviendrait, comme lui lorsqu’il traduit Kafka, de trouver un rythme. On oserait même se couler dans le souffle d’une ponctuation en écho avec notre perception des instants. Chaque entrée (chaque note correspond pourtant à une sortie, à un contact dans un bar ou sur un banc, sous un bananier) impose son rythme propre, de phrases coulées dans leur amalgame d’impression et de réflexion. On aime la façon dont, à l’occasion, l’auteur surprend par la suppression d’une virgule attendue comme pour laisser place à l’accumulation de ce qui passe.

on peut écrire une page de carnet consacrée à cette opération de mixage même s’il n’est pas garanti qu’on échappera totalement à sa propre idiotie et à l’idiotie générale on peut essayer, sans oublier de partir le dimanche faire des promenades solitaires en allant à l’aventure, sans penser à rien.

Promenades solitaires un rien atrabilaires donc. Mais depuis quand est-ce un défaut ? Écrire c’est se distancier de la débilité du monde sans peut-être échapper à sa propre idiotie. Laurent Margantin nous communique cette nécessaire pratique de distanciation de cette débilité d’un monde de manager, d’une société du spectacle contemplée, dubitatif, dans un flottement insomnieux. Je disais plus haut, sans grande originalité, que la lecture d’un journal contraint – ou aide – à se positionner, elle le fait surtout face à la manière dont on voudrait écrire sa propre vie. Le journal pour son scripteur comme pour son lecteur modèle un idéal, une représentation du monde où enfin il pourrait habiter. Laurent Margantin nous offre alors un saisissant portrait de lui en lecteur, une image à laquelle se confronter, se conformer. On aime particulièrement le voir lire du Pessoa et se trouver happer par l’appel du silence qu’il distingue très justement dans Le livre de l’intranquillité. On est peu surpris, conquis quand même sur la pertinence de ses notations sur Kafka, une très belle page sur une lettre de la mère de Kafka à Félicie  (les lettres de Kafka à Félicie sont d’ailleurs, dans mes souvenirs, un délice douceâtre). Je confesse avoir beaucoup aimé cette manière d’improvisation entre promenade, choses vues et réflexions. Une question de régime, une façon de ne pas s’attarder : le journal est ce qui laisse passer. La fiction serait, au cours d’une déambulation, cet instant entre fascination et vague dégoût, le carnet pourrait interposer des impressions, ne pas imposer de solution de continuité et éviter cette réduction absurde de la littérature si justement dénoncé par l’auteur : la littérature devrait traiter d’un sujet, pire elle devrait être défendue par ses personnages qui sortiraient du livre pour en assurer la promotion. Laurent Margantin continue à nous proposer un autre rapport au livre, on continue à le suivre dans ses écritures errantes ici.



Merci à Laurent Margantin pour l’envoi de ce carnet.

Carnet de l’hiver austral (107 pages, 12 euros)

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