
Fiction documentée sur la naissance de l’horreur, l’obsession d’un pauvre type – paranoïaque, antisémite, misogyne et bourrelé de complexes – et surtout sur les soutiens et les succès du discours dingue qu’il élabore en prison. Haris Vlavianos parvient à restituer au jour le jour la vie d’Adolf Hitler, dans sa prison, ses exaltations et sa paresseuse formation intellectuelle. Malgré son horreur, Journal fictif d’Adolf Hitler est un livre nécessaire tant il interroge nos fascinations et la réitération des haines les plus simplistes.
Un livre dont la lecture est loin d’être aisée, un roman qui en permanence suscite une interrogation sur sa manière, très documenté, de brouiller les frontières d’une réalité aussi intenable que dangereusement fascinante. On en finira donc jamais avec la Shoah, la littérature n’est pas prête à arrêter d’ausculter les mécanismes de l’horreur, d’interroger surtout la façon dont on doit craindre sa répétition. Dans sa préface l’auteur, comme Alexis Ragougneau dans sa postface, insiste sur la permanence de cette menace. Voilà le premier élément de sidération de ce roman : à chaque page, on pressent que les mêmes ficelles, la même paranoïa et la même réponse aussi simpliste que totale, sont toujours à la veille de fonctionner. Haris Vlavianos a l’intelligence de s’arrêter à la naissance d’un tyran. À son rêve hystérique de pouvoir et au soutien qu’il retient. En se méfiant des rapprochements hâtifs d’une histoire qui jamais ne se répète tout à fait, soulignons quand même l’empathie soulevée par les thèses d’Hitler chez ses gardiens de prison, dans les forces de l’Ordre et de justice.
On connaît la vieille interrogation : si Hitler n’avait pas existé, le nazisme aurait-il inventé ses massacres. Une des grandes intelligences de ce roman est de monter à quel point Adolf Hitler cristallisa la crasse d’un inconscient collectif. C’est là que le travail littéraire d’Haris Vlavianos interroge : son écriture simpliste, idiote et peu cultivée comme s’en réclamait l’autre pauvre type, parvient à outrepasser le ressassement monomaniaque propre à un écrit diariste et à un esprit aussi dérangé. Avouons que la partie à proprement parler politique, historique aussi, n’est pas celle qui m’a le plus passionné. Le putsch d’Hitler rate, il accuse ses sordides partenaires, il se voit comme le sauveur, le seul à ne pas trahir son pays. Le plus passionnant est la façon dont l’auteur tisse des pistes sans véritablement les transformer en explication. On explique pas l’ordinaire monstruosité du mal, on la regarde, impuissant, dérouler ses motifs. Grossièreté et dégueulasse démagogie : les juifs sont les responsables de tout, du marxisme en premier lieu. Voilà qui ne tarde pas à virer à la monomanie pathétique. Et pourtant, ça marche. Hitler trouve les relais, les financements, travail son art oratoire. La vraie gageure pour Haris Vlavianos est de trouver l’exacte incarnation de ce Je : dire son dégoût des femmes, hormis sa mère, sa haine de son père, son rapport à la nourriture, le souvenir de sa pauvreté viennoise, de ses échecs. Oeuvre littéraire sans doute dans son refus d’en faire de définitives explications. Reflet du présent, aujourd’hui encore à nous de prendre nos responsabilités pour que ces discours d’illuminés ne s’imposent pas.
Au fond, on peut se demander si, pour finir, la fiction dans cet étrange journal ne tient pas au rapport à la lecture. Pas inutile de montrer le rapport et superficiel d’Hitler à la culture. Vlavianos insiste, Hitler parcourt des livres, lit les passages sur lesquels ses collaborateurs pointent son attention. Il lit Nietzsche, Goethe uniquement comme des armes, pour confirmer sa « pensée ». Il déforme et manipule, cherche une caution. C’est sans doute toute la force du Journal fictif d’Adolf Hitler, nous inviter à lire en détail, avec une précision critique, tout ce avec quoi l’on ne peut être d’accord.
Merci aux éditions Viviane Hamy pour l’envoi de ce roman.
Journal fictif d’Adolf Hitler (trad : Robert Launais, 386 pages, 19 euros)
Intéressant. Il y aura toujours un idiot de service pour faire le sale boulot d’intérêts travaillant dans l’ombre. A ce sujet le livre d’Éric Vuillard « L’ordre du jour » est totalement éclairant. Qui commande le crime, Hitler ou bien ces gens dans l’ombre qui utilisent sa folie. Merci pour cette chronique. Belle journée !
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Bon jour,
Votre article me fait penser à un livre : « Le Vicaire » (pièce de théâtre) écrit par Rolf Hochhuth. Pour ma part et faire court : tout un chacun peut devenir du jour au lendemain un tortionnaire, actif ou passif, par l’acte de parole ou des faits, par l’art ou le simple fait de survivre … et cela sur le même registre que tout un chacun peut devenir du jour au lendemain victime …
Max-Louis
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