
Roman des volutes et des doubles, des mirages et des cauchemars : polar plein de métaphysique, réflexion sur le corps de l’écriture tant que sur celui de nos désirs, de leurs cruautés autant que de leurs ressemblances, Le calligraphe est une errance onirique d’une rare puissance. Hisaki Matsuura déploie un univers de peurs et pertes, d’abstractions et de projections. À découvrir absolument.
On est heureux que le polar puisse encore nous surprendre. Certes, j’accorde toute ma confiance aux éditions Rivages pour (de Ellroy à Charyn, de Sallis à De Giovanni) pour repousser les limites d’un genre et pour en faire une pratique d’écriture et partant d’une vision singulière du monde. Le moins que l’on puisse dire est que celle d’Hisaki Matsuura va vous emporter. Son approche la plus superficielle serait de la comparer à celle de Murakimi : une même façon d’enregistrer le basculement, la magie quotidienne, l’effarement de la solitude. Cependant, ici le merveilleux n’apporte aucune naïveté ni le moindre réconfort. Contrairement à Murakami et ses scènes de sexes calibrées comme autant de respiration sans grande crudité ni invention. Hisaki Matssuura parvient comme personne à travailler le motif de la fascination tout d’abord avec une grande simplicité où se cache, on le devine très vite, les dissimulations du narrateur. Avec une grande économie de moyens, toujours en forçant la fascination du lecteur, on pourrait approcher cette œuvre offrant une grande pluralité d’interprétations par une très fine interrogation sur nos images coupables de la femme. La femme fatale, figure centrale de tout roman noir, devient, on le comprend après ses multiples incarnations, un tomoe. En héraldique (on peut je crois employer ce terme tant ce roman est un blason, cette forme poétique qui consiste à créer une figuration à partir de l’évocation d’une partie du corps), un tomoe serait une volute, un motif tournant auquel la calligraphie japonaise va donner toute une série d’interprétation, « une spirale qui ne pourrait exister». Le narrateur, donc, vivote dans sa panique de la pénétration, dans l’ordinaire folie de son isolement, dans « le souvenir de la sensation étrange, où se mêlaient inextricablement attente lancinante et répugnance inextricable. ». Il se fait entretenir par Hiriko dont il se refuse à pénétrer les mobiles. Un jour, un de ses anciens condisciples d’une entreprise fantomatique et menaçante, l’invite à prêter son concours de traducteur (sans grande connaissance) pour un film. Nous arrivons alors dans la coupable fascination que vont exercer les images de la femme. Une jeune fille, quasi une enfant le roman sait jouer de ce désir pour le moins trouble, y apparaît dans un curieux mélange de film porno et de gros plans d’insectes. On apprendra plus tard que la traduction du nom de ses insectes pourrait être un dérivatif de ce tomoe central.
Pour moi, c’est plutôt l’apparence des gens et des choses qui existent dans ce monde qui imite l’écriture.
On fonce alors dans l’opacité. La vérité devient alors un dessin, une silhouette qui se prête à toutes les interprétations, à toutes les imitations. Hisaki Matsuura ouvre alors une très fine discussion sur l’art et sur ses faussetés. Il parvient à ne jamais trancher sur la véracité de ses interprétations les plus séduisantes. L’art intervient alors comme représentation d’une autre temporalité, façon, on le sait, de saisir ce qui ne passe pas. Le narrateur rencontre donc un calligraphe (à moins que ce ne soit sa doublure frauduleuse) qui ne cesse de lui répéter : « nous revenons vers un « présent » différent. » Le roman sait alors multiplier les apparentes et cauchemardesques répétitions de situations, l’auteur en fait des discrètes révélations sur le passé de son narrateur. Le calligraphe devient alors peut-être seulement un rêve, l’hallucination du narrateur. Hisaki Matsuura sait pourtant lui donner l’apparence d’un roman noir, il joue sur la poursuite, l’univers crapuleux dans lequel s’enfonce le héros. On suit ses pérégrinations, ses ordinaires lâchetés avec un vrai plaisir et l’auteur sait rendre transparent tous les pans complexes de la culture japonaise et le regard social porté par ce roman noir fantastique. Je vous le conseille vivement.
Merci aux éditions Rivages/Noir pour l’envoi de cet envoûtant roman.
Le calligraphe (trad : Silvain Chupin, 348 pages, 21 euros)
Magnifique chronique comme toujours ! Je suis très attiré par ce roman et pour découvrir cet auteur avec une violence qui semble plutôt plutôt psychologique ?
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Lu… et pas compris. Ma chronique sera moins enthousiaste et beaucoup moins pertinente point de vue de l’analyse.
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