Bruit dedans Anna Dubosc

Avidité d’écriture, de tout capturer avant sa disparition, de figer ce qui, d’ellipses en reconstructions, devient fiction du quotidien. Dans une prose pleine d’allant, d’envolées à l’image de l’urgence qui anime ce livre, Anna Dubosc parvient à capturer ses jours ordinaires où, littéralement, rien ne passe. Au-delà de l’autofiction, Bruit dedans est un miroir pluriel du désir d’écrire.

J’aime les livres qui mettent à nu la gageure, la promesse dont ils s’élancent plutôt que le projet toujours un peu trop sagement reconstruit. Anna Dubosc, dont j’avoue avoir jusqu’alors ignoré l’oeuvre, se lance dans le pari intenable de tout autobiographe : écrire en même temps que l’on vit, ne pas se raconter mais plutôt suturer la béance (pour employer un terme cher à Michel Leiris pour décrire ce décalage temporel) qui se creuse entre l’instant présent et l’instant de l’écriture. La narratrice, Anna, oublie, comme on dit, souvent de vivre tant elle formule tout ce qu’elle ressent en des phrases. Elle craint de perdre le rythme des formules et les notes, compulsivement, sur tout ce qui lui passe sous la main. Toute l’indéniable force de Bruit dedans est de parvenir, parfois, à cette instantanéité, à montrer ainsi que ce désir de phrases, entre compréhension et dépassement du vécu, devient une façon de vivre non pas mieux mais d’affronter le manque et la fatalité au centre de toute existence.Avant de nous lancer dans les mécanismes de la fictionalisation de soi si finement mise en lumière par l’autrice, il faut souligner que son livre tient surtout par la réussite de certaines de ses scènes. La vie même. Des repas dans un bar associatif pour mineurs isolés, Paris en vélo, l’inconsistance insaisissable du vécu. Une certaine grâce tôt rattrapée par la gravité. Le livre est troué par les visites à la mère de la narratrice, la mort de sa belle-mère. La vie telle qu’elle va : la pudeur par ellipses.

C’est beau, ça respire, c’est vivant. Comment ça se fait ? Je n’étais quasiment pas là quand j’ai écrit ça. Je pensais à rien, je flottais. Et pourtant c’est ma voix, celle que je traque en vain et ne fais que singer la plupart du temps, mais qui surgit dès [que] je n’essaie plus d’écrire.

Anna Dubosc le sait sans doute : le centre de l’écriture est un point-aveugle, une absence. Bruit dedans parvient admirablement à en rendre compte. Admirable animation de ce refus du temps qui passe et que pourtant l’autrice parvient à faire advenir. Elle fait enchaîner des instantanées, courts chapitres qui reprennent sur le non-dit des temps-morts. « C’est une chose faite entièrement de trous, et dans ces trous la vie capturée qui se dégage. » comme l’écrit Anna Dubosc en ouverture de son livre. Une vraie joliesse, une certaine évidence de ce qui nous échappe. Un affrontement avec le temps toujours non pas victorieux mais hors-cadre.

Je voudrais que tu me regardes et que tu me reflètes. Que tu écrives les mots qui me donneront une existence.

Ellipses et pudeur, le roman bascule alors dans cette certitude que se dire revient toujours à une reconstruction, à la confrontation au regard de l’autre. L’autrice se dépeint comme une vampire, elle phagocyte la vie de son entourage, s’empare de tout ce que lui confie les autres, de tout ce qu’elle peut deviner qu’ils vivent. Personne ne se souvient de la même chose : l’écriture n’a de sens que si elle arrange pour ne pas dire altère. Au milieu du roman, Anna Dubosc introduit l’alter-ego de Julien, un double d’elle-même, phraseur parfait plein de projet mais sans réalisation. L’écriture devient un dialogue, le sujet même de ce livre délicat et pudique. Anna Dubosc souligne alors à quel point son œuvre est infinie. On a hâte d’en découvrir la poursuite.


Un grand merci à Quidam éditeur pour l’envoi de ce récit.

Bruit dedans (152 pages, 18 euros)

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