
Onirique retour sur les lieux d’une jeunesse, de ses dédoublements et autres pertes ; réflexion hantée sur nos défaut douloureux de réalité, sur les contagions de son modèle et de son peintre, les similitudes des souvenirs et les communs aveuglement. Dans un style ample, de longues phrases où il capture l’errance de son narrateur égaré dans la ville de sa jeunesse, Une ronde de nuit peint un fantastique, éperdu, retour à soi. Raymond Penblanc signe un livre âpre et singulier.
Avec un grand plaisir, je poursuis mon exploration de l’œuvre de Raymond Penblanc. À l’instar de Les trois jours du chat ou de Somerland, l’auteur déploie un univers d’une étrangeté proche, d’une inquiétante familiarité tant il efface les frontières temporelles et géographiques. Dans une belle ouverture conditionnelle, un homme arrive dans une ville, de province sans doute, de moyenne importance n’en doutons pas. Jamais elle ne sera nommée : le lecteur peut tranquillement y projeter sa propre jeunesse, s’y placer dans un saut exact de génération. Le narrateur, un peu bourru, un rien désabusé, y aurait fait ses études vingt-cinq ans avant, s’y refusait jusqu’à un malheureux contretemps à s’y aventurer. Plutôt habilement, le récit suggérera une explication à se refus, pour ne pas dire à ce déni tant il revient comme une hantise. Le récit déploie alors un magnifique jeu de dédoublements dont la beauté tient à une ambiguïté jamais levée. Pour ne jamais préciser si la voix de ce jeune homme croisée au restaurant lui parle ailleurs que dans sa tête, Penblanc opte pour l’italique. On ne revient jamais tout à fait sur ses pas, les souvenirs sont une fiction, une altération de soi.
Ne marchons-nous pas en aveugle sur des sentiers escarpés, des chemins sinueux et étroits, des chemins qui se perdent ou finissent en impasse, nous détournant de l’essentiel et d’abord de nous-mêmes ?
Peut-être plus que ces italiques qui viennent trouer le récit, toujours en y introduisant un autre récit peu daté (le double est étudiant aux Beaux-Arts, tous le récit se déroule dans un délicieux climat très XIX siècle), la belle ambiguïté du roman vient des phrases de l’auteur. En quête d’une précision, d’une fixation d’un état mental incertain, de détails captés entre parenthèses, la prose de Raymond Penblanc charrie une multitude d’images et leurs mouvements et sonorités. On se laisse happer dans les flottements de ce monologue intérieur d’un adieu d’une jeunesse, d’une reviviscence de ses promesses trahis. « D’ailleurs quand je vous regarde, j’ai l’impression de découvrir le représentant d’un monde qui ne sera jamais le mien. » Belle et rimbaldienne jeunesse, fantôme de nos absences de résignation. Autant de doubles de nous-mêmes qui, espérons-le, sont mal enterrés et nous attendent au détour du souvenir, des lieux que l’on ne veut plus hanter. Joliment, les souvenirs se confondent, le narrateur revoit sa jeunesse avec Berg (serait-il un autre double de lui-même ?), son âge des disputes et des refus cependant que son compagnon (bien plus jeune dans lequel il ne parvient à tout à fait se reconnaître) raconte ses désillusions, la perte de son modèle et la crainte de cette jeune fille de se faire dévorer (motif fantastique par excellence de la hantise du double) par son créateur. Une ronde de nuit c’est l’adieu à des fantômes d’un autre âges. Baudelaire, Rimbaud et Nerval. Mais à travers un vitrail survient, quand même, encore, l’illumination. Intrigant dénouement orphique alors. Dans cet altération du souvenir survient l’impératif impossible de ne pas se retourner. De cette jeunesse reste les refus, le ridicule aussi mais surtout la question de se tenir les yeux ouverts. Encore.
Merci au Réalgar pour l’envoi de ce récit.
Une ronde de nuit (158 pages, 16 euros)